Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
jamais dit qu'il fallait se rallier à lui, mais tout simplement qu'il fallait éviter les sautes d'humeur.
3. Personne, dans les états-majors de la rue de Lille ou du groupe parlementaire, ne regrette le départ des deux conseillers du président du RPR. Chacun parle de leur départ. Quelques précisions supplémentaires : Chirac a refusé les affiches de la campagne européenne que Marie-France avait commandées, ce qui a marqué le début de la fin de leurs relations. Nicole Lebeau, de l'AFP, me raconte à ce propos que Charles Pasqua avait dit à Juillet, un jour : « Vous traitez Chirac comme un jeune secrétaire d'État, mais il va finir par grandir et vous échapper. » Prémonitoire.
4. Vendredi soir, vers minuit, Michel Debré et Claude Labbé restent quelques instants avec deux ou trois journalistes à la fin d'un dîner de presse. Michel Debré paraît très inquiet sur l'économie : les clignotants, nous dit-il, sont tous au rouge, et ils le resteront jusqu'en 1981. L'indice le pire est celui de l'emploi industriel. Labbé, lui, en rajoute sur Raymond Barre qui n'écoute rien ni personne. « Nous avons le droit, conclut Michel Debré, par des gestes modérés, de montrer qu'il lui faut prendre conscience des périls intérieurs et extérieurs. »
28 septembre
Paul Guilbert, qui était, lui, aux journées parlementaires UDF, me raconte que Raymond Barre, en privé, a tenu ce langage aux députés : « Les Français ont trois caractéristiques : la première est l'hypocrisie, la seconde est le sens des privilèges, ils sont donc ingouvernables. La troisième est que, Dieu merci, ils ont la trouille. C'est pour cette raison que nous sommes encore là ! »
Tant de mépris...
29 septembre
Bien sûr, Michel Debré avait eu Marie-France Garaud et Pierre Juillet à l'appareil, la semaine dernière. Marie-France lui a parlé de l'interview de Bernadette Chirac dans Elle – puisque c'est à ce journal féminin qu'elle a dit avoir demandé à son mari de choisir entre sa femme et sa conseillère 40 . Elle en est apparemment affectée. Plus que cela, blessée. « Toute la France, a-t-elle dit à Debré, croit que j'ai été la favorite renvoyée par la reine mère ! »
Affectée, peut-être, mais elle a toujours la dent dure, car, après tout, Bernadette a son âge ! La traiter de « reine mère » est particulièrement vachard. Pour quelqu'un qui, comme Marie-France, a une tendance instinctive à mépriser (intellectuellement du moins) les autres femmes, le coup a dû être rude : elle avait toujours pris cette femme pour une sotte, et voilà qu'elle se fait congédier par elle. Congédier, au demeurant, n'est pas le mot, puisqu'elle était déjà partie !
Quant à Pierre Juillet, il a dit : « Lorsque j'ai créé le RPR, Chirac n'était même pas là. Il était en Écosse ou en Irlande, je ne sais où ! »
Déformation usuelle des conseillers : c'est sans doute vrai, qu'il a créé le RPR, mais il n'en aura jamais eu la paternité. Chirac, et lui seul, même s'il se baladait en Irlande au même moment, restera, pour l'Histoire, celui qui aura transformé l'UDR en RPR.
Mais d'autres tourments assaillent Michel Debré : sera-t-il ou non, pour l'Histoire, justement, candidat en 1981 ? Comme cela le tente, et comme il en a envie ! Je lui dis, puisqu'il m'en parle, qu'il ne peut pas se permettre, à 70 ans, de finir sa vie politique sur un score à la Defferre 41 ! Il ne répond rien. Témoigner, c'est, dans son cas, je le comprends bien, donner un sens à sa vie. Il me raconte que, lorsque Georges Pompidou, à la fin de sa vie, avait voulu le nommer au Conseil constitutionnel, il avait écarté sèchement la proposition. Il avait cru – sans doute à juste titre – que Pompidou voulait se débarrasser de lui en lui offrant un hochet. Il avait refusé pour continuer le combat pour ses idées. Ce n'est pas aujourd'hui, devant Chirac, qu'il va s'arrêter.
9 octobre
Claude Estier trouve que Mitterrand ne va pas bien du tout, qu'il supporte très mal, en fait, sa relégation en seconde division. Ce que je veux dire derrière cette métaphore sportive, c'est que, tandis que Rocard est monté en première division – au moins dans la presse –, lui, Mitterrand, son avenir, ses désirs, ses ambitions n'intéressent plus que la poignée de ses fidèles.
10 octobre
Dîné avec Étienne Burin des Roziers chez Roger Stéphane. Cet ancien collaborateur du Général,
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