Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
qui a été son secrétaire général à l'Élysée, est proche de Michel Debré ; je le soupçonne de trouver Chirac trop léger et de ne pas apprécier vraiment Giscard. Il est habillé comme l'as de pique : pantalon trop long faisant des plis sur ses chaussures. Cela n'a d'ailleurs aucune importance : il est resté d'une ingénuité que je n'aurais pas cru possible chez un des hauts fonctionnaires ayant accompagné de Gaulle.
Nous parlons de la plaquette de diamants que Valéry Giscard d'Estaing aurait reçue de Bokassa 42 . « Il aurait parlé publiquement de barrette de diamants que cela aurait été sans importance ! Mais une plaquette ! De Gaulle n'aurait sans doute jamais accepté un tel cadeau. »
Sans doute ne le lui aurait-on jamais proposé...
« Mais Giscard n'a pas enfreint la loi, ajoute Burin, le cadeau lui a été donné en privé, ce n'est pas comme Jules Grévy avec les décorations 43 !
– Peut-être, dit un des convives. Mais il a fraudé le fisc ! »
Roger Stéphane est persuadé, lui, que cette affaire des diamants offerts par Bokassa est la plus grosse affaire de la V e République, et que, dans trois mois, Giscard sera démissionnaire.
Sur de Gaulle, Burin des Roziers, dont la conversation est constamment alerte et pleine d'intérêt, nous dit que, de Debré ou de Pompidou, le plus cher au cœur de De Gaulle était sûrement Michel Debré.
Puis il nous parle drôlement des rapports entre de Gaulle et le comte de Paris. « De Gaulle, dit-il, avait de la considération pour le dernier des Capétiens, mais il estimait que, par certains côtés, c'était un Français comme les autres. Il n'a jamais été question dans son esprit d'en faire son successeur. Le comte de Paris s'est mépris sur le langage du Général, il a cru que, parce qu'il le prenait en considération, de Gaulle misait sur lui. Il s'est trompé. »
Au travers de tout ce qu'il dit, je comprends qu'il est favorable à une candidature de Michel Debré à la présidentielle de 1981 à condition que Debré ne se réclame pas du RPR.
Jean-Pierre Fourcade, d'habitude moins bavard, évoque devant moi les trois qualités dont un Premier ministre ne doit pas manquer : d'abord, il doit faire preuve d'intelligence et de bonne humeur à l'Élysée ; ensuite, il doit éviter les contre-performances à l'Assemblée ; enfin, il doit savoir expliquer sa politique aussi bien aux journalistes qu'aux téléspectateurs.
Selon Fourcade, Chaban avait la seconde qualité, mais ne possédait ni la première, ni la troisième. Raymond Barre, lui, a la première, mais aucune des deux suivantes. Quand on sait que Fourcade est un des proches de Giscard, on en reste comme deux ronds de flan.
15 octobre
J'ai passé toute la semaine, avec la rédaction politique du Point , à investiguer sur cette histoire de diamants. Je résume ici en quelques phrases le résultat de cette contre-enquête qui nous a pris plusieurs jours.
Le 10, mercredi, lendemain du jour où Le Canard enchaîné a révélé l'histoire, aucune question n'a été posée par l'opposition à l'Assemblée nationale ; pas un mot dans les journaux télévisés à l'heure du déjeuner. En revanche, Le Monde , en début d'après-midi, consacre à l'événement deux pages intérieures, détaillant les divers intérêts de la famille Giscard en Afrique. Jacques Fauvet 44 signe un article sévère, au titre un peu grandiloquent : « La vérité et l'honneur. » Il y demande une mise au point de l'Élysée sur ce « royal cadeau ». Réponse de l'Élysée dans la soirée : l'AFP publie un communiqué d'où il ressort qu'il s'agit là « d'échanges de cadeaux de caractère traditionnel ». Pas de démenti, donc, de l'Élysée, même si la famille du Président, ses cousins et son frère jugent « immonde » l'article du Monde .
J'ai appelé au téléphone la fameuse M me Dimitri, secrétaire de l'ex-empereur Bokassa, qui, selon Le Canard enchaîné , avait eu en main la plaquette de diamants prétendument destinée à Valéry Giscard d'Estaing. Le plus surprenant est qu'alors que je m'attendais à ce que la dame soit aux abonnés absents, j'ai pu la joindre (le Palais m'a mise en relation avec elle sans aucune difficulté) et qu'elle a répondu sans déplaisir à mes questions. Elle m'a dit que oui, Bokassa offrait à des personnalités politiques importantes des diamants 45 . Qu'il s'agissait de petits diamants dont la valeur ne pouvait être d'un
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