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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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offensé.

    30 octobre
    Nouveau coup de tonnerre : Robert Boulin a été retrouvé mort au petit matin, noyé dans les étangs de la forêt de Rambouillet.
    À l'Assemblée, Jacques Chaban-Delmas prononce son éloge funèbre. Il parle de la campagne de dénigrement qui, depuis quelques semaines, visait Boulin. « Campagne d'autant plus dure à supporter, dit-il, qu'elle visait un honnête homme, un homme intègre. Puissions-nous méditer sur ce drame, sur cet assassinat ! »
    « Assassinat » : il y va fort ! À moins qu'il n'ait des informations que nous n'avons pas ? Il est le premier, je crois, à employer ce mot. Après lui, Raymond Barre, remis de son hypertension, s'exprime au nom du gouvernement, « cruellement éprouvé par la disparition de Robert Boulin ». Il présente ses condoléances à toute sa famille et aussi à tous ses compagnons du groupe RPR. « Il n'y a, dit-il dans une assez belle phrase, d'autre limite à l'exercice de la liberté que le respect de l'homme et de sa dignité. »
    Quelques-uns de ses collaborateurs me décrivent Robert Boulin comme étant depuis quelque temps très pessimiste, très sombre. Ils évoquent surtout un homme blessé par les accusations dont il a fait l'objet, beaucoup plus meurtri que je n'aurais cru. Car ces accusations, que l'ensemble du gouvernement reproche à la presse en évoquant le précédent de Roger Salengro 52 , m'étaient certes apparues comme extrêmement désagréables pour Robert Boulin, mais en aucun cas de nature à entraîner un suicide.
    Pourtant, nous avions tous senti le malaise de Robert Boulin, depuis quelques mois. À la fin de son dernier discours à l'Assemblée, sur le budget du ministère du Travail, il s'est tourné vers les députés de gauche et, s'adressant à eux, leur a dit : « Vous ne m'atteignez pas. »
    À Philippe Séguin qui lui avait, à je ne sais quelle occasion, dernièrement rendu hommage, il avait dit : « Je vous remercie de dire des choses agréables à mon égard, c'est tellement rare ! »
    Je n'avais rien écrit sur lui ni sur ses difficultés, car ce n'est pas à moi qu'on avait demandé un article. J'aurais pu le faire, et je l'aurais fait, comme mes autres confrères, en parlant des lettres anonymes arrivées aux rédactions il y a quelques semaines, de la mise en cause de Boulin, accusé d'avoir acquis illégalement un terrain à Ramatuelle sur lequel il avait fait bâtir une résidence secondaire. Je n'imaginais pas – car lorsqu'on écrit sur un homme politique, on ne se pose pas vraiment la question – que ces accusations allaient entraîner sa mort. Comment est-il mort, d'ailleurs, dans cet étang profond de 50 centimètres, en forêt de Rambouillet ?
    La seule chose qui m'aurait rendue prudente est que la campagne contre Boulin a été menée par Minute , journal d'extrême droite qui ne voulait pas forcément le voir, lui, connu pour ses idées sociales gaullistes, accéder à la plus haute marche, c'est-à-dire (comme d'aucuns le laissaient penser sitôt que Barre a été hospitalisé) à Matignon.
    Remarque : ils étaient sûrement nombreux dans ce cas.

    31 octobre
    Boulin a laissé une lettre posthume dont on ne parle que ce matin, où il ne met pas en cause la presse (clouée au pilori depuis deux jours par le gouvernement unanime), mais réserve ses coups à Henri Tournet.
    Mi-barbouze, mi-homme d'affaires, Tournet est un homme curieux, toujours mêlé à des coups foireux (je dis cela pour résumer, je ne vais pas reprendre toute l'affaire Boulin depuis six mois) ; par coups foireux, j'entends ici coups tordus en Afrique et dans les DOM-TOM ; présidences de sociétés d'import-export avec ou sans Jacques Foccart, entre bien d'autres hauts faits. Robert Boulin le décrit comme un « escroc paranoïaque, mythomane, pervers, maître chanteur », oubliant de mentionner dans cette lettre posthume que sa femme et la femme du même Tournet étaient amies d'enfance, et que Tournet était si proche du couple que l'épouse de Tournet fut longtemps sa secrétaire à lui, Boulin !
    Si Tournet est désigné comme l'homme d'où vient le mal, Boulin n'épargne pas, dans sa lettre, ses amis politiques, notamment Alain Peyrefitte, présenté comme « plus préoccupé de sa carrière que de la bonne marche de la Justice ».
    Olivier Guichard, que je joins à Grimaud où il réside pour quelques jours, me dit au téléphone que, malgré les accusations de Boulin, il ne pense pas

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