Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
budget gouvernemental. Ce n'est qu'après en avoir accepté les grandes lignes que Labbé a demandé 2 milliards d'économies au gouvernement. « Il est venu à Matignon tout de suite après avoir émis le chiffre de 2 milliards au cours d'une conférence de presse. Le Premier ministre lui a simplement dit : d'accord, trouvez-les !
« Entre Barre et le RPR, les choses se sont gâtées lorsque, au lendemain de sa réception à Matignon, Labbé a reproché au chef du gouvernement son refus de la concertation. Nous disons, nous, que la concertation a eu lieu ! »
Il devient grave : « Il faut que les députés RPR et Chirac le sachent : si le gouvernement est appelé, dans ce désordre, à poser la question de confiance, et si le groupe RPR vote la motion de censure qui s'ensuivra, l'Assemblée sera dissoute. » L'information est d'importance. Il ne me dit pas si c'est là le seul point de vue de Raymond Barre, ou si Giscard est d'accord.
Nous revenons à l'affaire Boulin : ce matin, au Conseil, Giscard a mis ses ministres en garde : « Il n'a pas apprécié les commérages de Maurice Plantier, me dit Philippe Mestre, car ce ne sont que des commérages. Que quelques petits corniauds au RPR aient dit n'importe quoi à Philippe Alexandre, du genre : “Boulin, on le tient”, peut-être (il cite parmi les corniauds informateurs d'Alexandre le nom de Vernaudon), mais que les dirigeants du RPR eux-mêmes se soient mis d'accord pour “mouiller” Boulin, personne ne le croit, ni le Président, ni le Premier ministre, ni moi ! »
Il me confirme – c'est le directeur de cabinet du Premier ministre qui parle – que le Président et le Premier ministre étaient informés depuis l'été : là-dessus Mestre est formel, il leur en a parlé en août et en septembre. Il confirme que Boulin, qui, dit-il, ne lui a jamais paru obsédé par cela, n'en a jamais parlé de lui-même ni à Giscard, ni à Barre.
« Rien à dire sur le juge Van Ruymbeke 55 , précise-t-il ; il savait que Boulin était dans l'affaire, voilà tout. Nous ne voulions rien faire, car nous savions ce qu'il y avait dans le rapport Tournet : que c'était un chantage inouï contre Boulin, qu'il parlait même de financement de campagne électorale ! Ce qui a été terrible, pour Boulin, c'est d'être sous la pression d'un chantage au moment précis où le phare était braqué sur lui, c'est-à-dire au moment où on a parlé de lui comme un Premier ministre possible. D'un seul coup, il savait que son avenir politique était compromis. »
Voilà ce que m'a dit Mestre.
Essayons aujourd'hui, après avoir couru comme une folle sur cette affaire, de savoir ce que j'en pense au moment – 7 novembre à l'heure du déjeuner – où j'écris ces lignes dans la salle de presse de l'Assemblée, déserte à cette heure.
Ce que je crois, c'est que Boulin avait commis pour le moins une maladresse en acceptant un terrain en échange d'une intervention sur un permis de construire pour Tournet à Ramatuelle. Sans savoir bien entendu que ce type était un escroc et revendrait le terrain au moins deux fois. Reste que, depuis le temps, il avait bien dû le savoir ! Tous les éléments de l'enquête que je fais depuis dix jours montrent que son sentiment de culpabilité ou du moins sa faiblesse vis-à-vis de Tournet étaient plus notables que ce que je pensais.
Sur le plan politique, sa mort ne me paraît pas, comme beaucoup le disent, le signe d'une décadence des mœurs politiques. Il ne s'agit pas d'un scandale à la Stavisky, ni d'une compromission générale de la classe politique. Il s'agit d'un homme ayant négocié un terrain en échange d'une intervention, coincé par et dans un chantage, donc aux abois, ayant l'impression que tout le monde – ses amis politiques, surtout – le laisse patauger dans la vase, celle où il a d'ailleurs fini ses jours.
Ce qui est grave, en revanche, et révélateur d'un malaise profond, c'est que le milieu politique se soit mis, comme une bande de forcenés, à chercher d'où venait le coup et à qui profitait le suicide. D'où ce jeu de furet d'un bout à l'autre de l'échiquier politique : tout le monde a attaqué la presse pour commencer, puis le RPR, mais presque jamais le gouvernement, et pas du tout VGE.
L'opposition n'en profite pas, divisée qu'elle est une fois de plus, et aussi parce que les dirigeants du PS, Mitterrand en tête, ne veulent pas trop exploiter cette affaire qu'ils trouvent
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