Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Debré) : ce serait pour cette raison qu'il aurait rompu avec Pierre Juillet et Marie-France Garaud au printemps dernier ; tantôt le RPR choisit d'attaquer Barre et Giscard sur les domaines où ils sont le plus chatouilleux, c'est-à-dire l'économie.
Déjeuner avec Édouard Balladur, le même jour. Depuis qu'il a pris ses distances avec Juillet et Marie-France Garaud, Chirac s'est beaucoup rapproché de l'ancien secrétaire général adjoint, puis secrétaire général tout court de Georges Pompidou. Curieuse, cette démarche qui l'a amené à faire monter Balladur au fur et à mesure que Garaud et Juillet descendaient dans son cœur. Balladur était hostile à l'appel de Cochin, il l'avait fait savoir à Chirac, et pourtant celui-ci l'a revu souvent au printemps dernier. De sorte que la nature – surtout celle de Chirac – ayant horreur du vide, Balladur est aujourd'hui un des hommes sur lesquels il compte...
D'où ce déjeuner au cours duquel il me raconte cette histoire formidable sur Pompidou. Elle se passe au début de son septennat, en 1969 ou 1970. Georges Pompidou était à la chasse, à laquelle il avait convié Giscard. Le duc de Luynes veut à toute force lire les lignes de la main de Pompidou. Celui-ci accepte.
« Vous vivrez très longtemps, lui dit le duc. Vous ferez même un second septennat. »
Georges Pompidou se tourne vers Giscard :
« Vous êtes content, Giscard ?
– Oh, tout à fait, Monsieur le Président ! »
Alors Pompidou, ironique, au duc de Luynes : « Vous voyez, dit-il, vous vous êtes fait deux amis ! »
Balladur déteste Debré, encore plus sans doute que Juillet, contrairement à ce qu'a longtemps cru le premier. « Il n'a de caractère, en dit-il, à aucun sens du mot. Il perd son sang-froid, comme en 1968. Et il fait presque systématiquement le contraire de ce qu'il veut. » Et de citer évidemment l'indépendance de l'Algérie.
Sur Giscard, il ne dit rien d'autre. Sur Chirac, encore moins. Ce monsieur est très prudent.
16 novembre
Treize points en trente-cinq jours : du jamais vu pour la cote de popularité du Premier ministre. Barre a gagné 13 points entre le 12 octobre et le 16 novembre ! Oh, sa cote ne monte pas très haut : elle est aujourd'hui à 41 %.
À quoi est-ce dû ? Le chômage a-t-il disparu, l'inflation a-t-elle été jugulée ? Pas du tout. Ce bond spectaculaire, il le doit d'abord à sa maladie. Et puis aussi à ce que, derrière les « affaires », les vrais problèmes de la France avancent masqués.
Colette Boulin, la femme de Robert Boulin, a dit à Jean Mauriac, hier ou avant-hier, que son mari avait trouvé Mestre et Barre très durs avec lui, presque – c'est le terme qu'il a employé – « inhumains ». Si Mauriac, qui n'aime pas du tout Jacques Chirac, avait entendu prononcer son nom parmi les « inhumains », nul doute qu'il aurait amplement répercuté l'information. Ce n'est pas le cas. Il ajoute que Colette Boulin se croit l'objet de machinations et a peur, paraît-il, qu'il n'arrive quelque chose à Bertrand, son fils. Fait-elle du bruit pour camoufler les fautes de son mari ? Ou est-ce simplement par désarroi ?
18 novembre
Barre, hier très violent contre Jacques Chirac, comme le laissaient entendre ses dernières sorties devant le groupe UDF. Piqué au vif, évidemment, par les critiques du RPR visant sa politique économique. C'est tout juste s'il ne l'accuse pas d'avoir mal géré l'État. « Jamais, me dit Michel Debré, on n'a vu un Premier ministre aller aussi loin dans la dénonciation de son prédécesseur ! »
Tout cela se termine donc dans le sang. Barre aurait pu y mettre du sien. Au contraire, il a fait un cours magistral d'économie politique pour accuser Chirac d'avoir, avant lui, mal géré l'État. Oubliant que, tout de même, Giscard était alors président de la République... Et, sous les yeux de la gauche suffoquée, le voici qui décide d'engager la confiance du gouvernement et de faire jouer l'article 49-3 de la Constitution.
Le RPR est au pied du mur : soit il vote la censure, et c'est l'explosion ; soit il ne la vote pas, et il est pris dans ses contradictions : après avoir fait monter la pression, il se soumet, de peur d'une dissolution.
Le Premier ministre aurait mille fois eu le temps de recoller les morceaux. Chirac aurait pu trouver des points de convergence. L'un et l'autre se sont entêtés.
Et puis, l'affaire Boulin, la semi-condamnation de
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