Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
propos qu'on lui prête. Je mobilise l'ensemble des secrétaires et autres chargés de mission pour savoir s'il y a eu, quelque part, une réunion de responsables RPR autour de l'affaire Tournet. Tournet aurait-il pu rencontrer Chirac ou un autre dirigeant du RPR ? J'ai appelé moi-même la plupart des dirigeants RPR : tous m'ont dit n'avoir tenu aucune réunion. Mon opinion à ce moment-là est qu'il faut une riposte ferme aux affirmations de Philippe Alexandre. »
Pons appelle donc Jacques Chirac à 9 h 30. Celui-ci arrive au RPR à 10 heures.
Pons reprend son récit : « J'ai posé la question à Chirac, les yeux dans les yeux : Peux-tu me dire si tu as présidé une réunion de ce genre, ici ou ailleurs ? Chirac me répond qu'il n'a pas présidé de réunion de groupe les jours en question, qu'il s'est contenté de voir Alain Devaquet, Claude Labbé et moi. J'ai vérifié ensuite auprès de Bernard Billot 58 , à la mairie de Paris, qu'aucune réunion n'avait été tenue à l'Hôtel de Ville entre dirigeants RPR. »
Dès lors, Pons et Chirac ont rédigé trois lignes de démenti. Et ont brandi la menace d'une attaque en diffamation contre Philippe Alexandre.
Question essentielle : au-delà du communiqué de démenti, d'où est parti le coup ? C'est à ce moment, me raconte Bernard Pons, que Jacques Chirac a appelé Chaban, lequel l'a envoyé sur les roses.
Je quitte Bernard Pons, qui ne manque pas de me rappeler, lorsque je suis déjà sur le pas de la porte, qu'au « Club de la presse » du 21 octobre – le script de l'émission dans sa page 3 l'atteste –, Robert Boulin avait parlé de Jacques Chirac comme d'un « ami ». Il n'aurait eu aucune raison de le faire si Chirac avait ameuté contre lui tous les dirigeants du RPR...
8 novembre, toujours
Je me rue chez Jean de Lipkowski dont on m'assure qu'il a lui aussi prévenu Chirac, dès le dimanche soir, des accusations de Maurice Plantier telles qu'elles ont été portées à la connaissance des auditeurs de RTL par Philippe Alexandre. Dimanche, Lipkowski était au lit, cloué par une sciatique : dès que Chirac, au retour d'un paisible week-end en Provence, vers 21 h 30, regagne la capitale, « Lip », tordu de douleur, vient lui rendre visite. Il raconte au maire de Paris qu'il a déjeuné avec Robert Boulin, quatre jours avant sa mort, et que celui-ci n'a pas fait état du moindre problème avec lui, Chirac. En revanche, il s'est plaint d'autres abandons du côté du pouvoir, notamment de celui de Barre et Mestre.
« Jure-moi que tu n'y es vraiment pour rien, demande “Lip” à Chirac. Sinon, je démissionne à l'instant du RPR ! »
Chirac jure.
Tout tourne depuis quinze jours autour de cette affaire Boulin. La vérité est que tout le milieu politique parlait, depuis l'été, des « casseroles » de Robert Boulin. Les RPR en ont-ils davantage parlé que les autres ? Peut-être, peut-être pas.
Chacun s'est refilé le mistigri : Peyrefitte, le premier désigné par Boulin dans sa lettre posthume, s'est débarrassé de l'accusation au détriment du RPR et de Jacques Chirac ; Jacques Chirac a fait donner Lipkowski, qui, en brandissant à son tour les noms de Barre et de Mestre, a calmé tout le monde.
« Crise de régime », conclut Michel Debré. On n'en est de toute façon pas loin.
14 novembre
Crise de régime ? « Non, me dit Bernard Pons que je rencontre à nouveau aujourd'hui. C'est là un terme excessif de Michel Debré. Ce qui est vrai, c'est que le gouvernement n'existe pas : il s'agit plus d'une société anonyme que d'un gouvernement. L'exécutif, aujourd'hui, est paralysé. »
Il poursuit dans cette veine. Selon lui, l'action économique du gouvernement est nulle : « Il y a trois ans, avec Chirac, il y avait une volonté économique, une volonté sociale. Si on fait le bilan, aujourd'hui, inflation, déficit extérieur, emploi, tous ces indicateurs sont au rouge. Ne cherchons pas plus loin, c'est un échec pour Barre, c'est un échec pour Giscard. »
Le voilà parti sur Giscard : « C'est peut-être la volonté du Président de ne pas dramatiser la situation. Il nous dit que nous sommes dans une spirale, la France moins que les autres pays européens. Son analyse est mauvaise, car il n'appelle pas la France à un sursaut national. »
J'arrive mal à comprendre la stratégie du RPR. Tantôt Chirac affirme vouloir se rapprocher de Giscard (cf. supra , sa conversation avec Michel
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