Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
demain, lui ai-je dit, ou alors il n'a plus aucune chance. »
Rousselet estime que le mot d'ordre à faire passer aux militants et aux dirigeants du PS est simple : Rocard est le candidat le plus proche de Valéry Giscard d'Estaing, et, en même temps, c'est l'homme que les communistes aimeraient bien voir désigner, car ils pourraient alors combattre un social-démocrate type.
Je pense, moi, et je l'ai dit vendredi à Rousselet, qu'il sera désormais très difficile à Mitterrand de se présenter contre Rocard : celui-ci a le soutien d'une grande partie de la presse, que Mitterrand n'hésite pas, en revanche, à brocarder. Il aura beaucoup de mal à remonter le courant.
Et puis, au contraire, aujourd'hui, ce dimanche, Mitterrand, dont je connais le doute qui l'habite par ma conversation avec Rousselet, apparaît impavide, olympien. Il ne voit aucune urgence, dit-il, à désigner le candidat : « Quelle est la bonne date ? feint-il avec ironie de s'interroger. J'ai disposé de deux mois en 1965. En 1974, de six semaines seulement. Six semaines, c'est trop court. Il faut donc plus de temps que cela, moins toutefois que ne le pensent certains camarades pour lesquels les élections présidentielles représentent le fin du fin, le nec plus ultra ! »
Il reprend, à peine moins cassant : « Je sens une vague d'électoralisme dans le parti. Je souhaiterais que le PS soit plus sérieux face aux problèmes qui l'attendent. Bref, je ne comprends pas bien la passion qui s'est emparée de ces débats... »
Donc, il ne se pressera pas. Il reprend la proposition qui a été faite par Jean Poperen : la date du 19 décembre lui irait bien. Et, d'ici là, le Parti socialiste continuera-t-il à se déchirer ?
Il pose la question, en quelques phrases en forme de règlement de comptes avec Rocard et ceux qui ont choisi de se ranger derrière lui : « Si je pouvais l'arrêter, cette campagne de dénigrement, il y a longtemps que je l'aurais fait. Elle a commencé le jour de l'échec de la gauche en 1978. Oui, il y a un problème quand à la solidarité dans le succès ne correspond pas la solidarité dans l'échec. »
Le reste est plus ou moins sur le même ton : les rocardiens utilisent l'arme de la presse, ils contournent de cette manière la hiérarchie du PS. Lui se sent plus « traditionnel » (il emploie ce mot avec un petit sourire) : il est et il reste premier secrétaire du Parti, ce qui ne veut pas dire qu'il sera candidat. Ce qui ne veut pas non plus dire qu'il ne le sera pas. Ce qui veut simplement dire que, pour le moment, il n'est pas candidat. Ouf ! !
« Dès lors, poursuit-il, toujours en feignant la surprise, que signifient ces danses autour de moi ? Il y a ceux qui m'aiment trop et ceux qui ne m'aiment pas assez, mais mon rôle de premier secrétaire passe avant tout autre. Le problème n'est pas de savoir si, sur le plan de l'Histoire, c'est le choix le plus fort. Le problème est que je ne peux que m'identifier à la lutte du Parti tout entier. Peut-être y verrez-vous beaucoup d'orgueil. Tant pis, c'est mon choix ! »
Enfin cet épilogue, dans le silence absolu de la salle : « Et puis, tout autour de nous, cette puissance de la droite ! Et cette complicité de Georges Marchais qui préfère que la droite reste au pouvoir ! Et nous n'aurions pas la force de dominer nos propres contradictions ? Moi, j'ai confiance en vous ; ayez pour le moins confiance en moi : je ne serai pas celui qui ajoutera quoi que ce soit à la difficulté de votre choix ! »
Habile : il renvoie à plus tard le débat sur le candidat, et garde en attendant le pilotage du Parti.
Pourquoi diable Rocard ne dit-il rien ? C'est le moment ou jamais, pour lui, de foncer, même en cassant quelques œufs au passage. Qu'attend-il ? Que Mitterrand se décourage ? Si c'est cela, il se met vraiment le doigt dans l'œil.
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