Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
conversation où il commence à parler de sa carrière à lui, Olivier Guichard, il s'arrête, soupire et me confie dans un élan : « Finalement, je tiens davantage au Général qu'à moi ! »
Je ne sais pas pourquoi, je ne doute pas de sa sincérité.
25 avril
J'ai tellement entendu Giscard et François-Poncet parler en termes négatifs de Jimmy Carter que l'ahurissant échec de l'intervention de l'armée US pour libérer les otages américains en Iran ne me surprend même pas.
Tout de même, quel bide ! Tout a foiré : le matériel était défectueux, trois hélicoptères sur cinq n'ont pas pu décoller quand il le fallait, les commandos, en se retirant, se sont rentrés les uns dans les autres (8 morts). Quant à la communication qui a été faite par les Américains eux-mêmes, elle a été complètement ratée. Il est vrai qu'elle pouvait difficilement être réussie après un tel cafouillage de l'armée la plus puissante du monde. Carter apparaissait comme un président faible : voilà qu'en plus il est malchanceux. Personne ne donnerait cher, aujourd'hui, du bouclier américain.
Ce qui est inouï, c'est que le gouvernement iranien a osé protester contre ce débarquement raté en le qualifiant d'acte de guerre inadmissible ! Non seulement les Iraniens prennent des otages, non seulement ils les retiennent depuis cent soixante-treize jours, mais ils souhaitent que les gouvernements ne fassent pas un geste pour les libérer !
Que Carter ait essayé de le faire, c'est bien. Qu'il ait échoué, voilà le drame. L'éditorialiste de Libération-Champagne a titré son article : « Il est des cas où il est interdit d'échouer. » Tout est résumé en une ligne.
D'autant que tout était possible, dans cette expédition : un otage malmené en guise de représailles, voire abattu, et le jeu des alliances pouvait commencer : la Russie solidaire de l'Iran, l'Europe de l'Amérique, et la Troisième Guerre mondiale était partie.
Sans aller jusque-là, vendredi matin, nous avons tous senti passer le vent du boulet. Il paraît, me raconte à l'Élysée Jean-Marie Poirier, que la semaine dernière, le chancelier Schmidt a dit à Willy Brandt : « Nous sommes peut-être à la veille de 1914 ! »
Il me dit aussi (source Quai d'Orsay) qu'un membre de l'entourage du ministre des Affaires étrangères soviétique, Andreï Gromyko, a dit l'autre jour à un interlocuteur français, l'ambassadeur peut-être : « Nous avons le meilleur Président américain ! » Une ironie dont on aurait pu croire un Soviétique incapable, qui signifie tout simplement, au deuxième degré, qu'avec ses perpétuels allers-retours, ses zigzags politiques, ses fluctuations diplomatiques, Jimmy Carter est le rempart le plus mou que les Soviétiques puissent trouver devant eux.
26-27 avril
Convention du Parti socialiste. Mitterrand ? Rocard ? Lequel des deux va être le candidat de la gauche, dans un an ?
Rocard ne dit toujours rien. En coulisse, il me glisse : « Beaucoup de gens croient que la politique, c'est l'art de parler. Moi, ce serait plutôt le contraire. » Il a l'air sûr de lui.
Jean-Pierre Chevènement me dit que lui-même sera sûrement candidat si Mitterrand ne l'est pas.
Rien dans cette confidence qui fasse avancer le schmilblick.
Lorsque j'entre dans la salle, Jean-Pierre Cot, qui s'est rallié à Rocard en 1977, parle après lui à la tribune. Il exhorte le Parti socialiste à ne pas se diviser. « Et toi, et toi ? » lui crie une partie de la salle. Cot répond, un peu dans le même sens que Jean-Pierre Chevènement, encore qu'il ne soit pas du même camp : « Si François Mitterrand est le candidat du parti, nous serons tous autour de lui pour l'emporter. Si Rocard est candidat, nous serons tous autour de lui. »
Pour conclure, il a cette phrase qui en dit long sur l'atmosphère qui règne au sein du Parti socialiste : « Il faut que cesse ce climat délétère dans lequel nous nous enfonçons ! »
À un an de la présidentielle, les choses me paraissent mal engagées !
Après lui, Mitterrand monte à la tribune. Au moment où il prend la parole, costume beige, menton dans la main, dans une attitude qui lui est coutumière, je pense à ce qu'André Rousselet m'a dit au téléphone, vendredi, avant-hier. Il a trouvé François Mitterrand, avec lequel il a dîné jeudi, presque désemparé – c'est l'adjectif qu'il a employé. Incertain, en tout cas. « Ou il se déclare
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