Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
socialiste pour avoir été à Londres sans son accord ! Et à l'invitation des conservateurs anglais, de surcroît !
Pas du tout, se croit obligé de répondre Rocard ; je suis allé rencontrer les travaillistes ! Son entourage a beau expliquer, avec un sourire, que la « libre circulation des hommes et des idées est garantie par les accords d'Helsinki », il n'empêche : il a l'air d'un petit garçon, ou, plus exactement, c'est l'image que veut donner de lui la direction socialiste.
Crocs-en-jambe et chausse-trapes sont dans l'air du temps.
19 mai
Rencontre surprise à Varsovie entre Giscard et Leonid Brejnev. Que se sont-ils dit, que signifie cette rencontre que personne n'avait vu venir 29 ? En tout cas, cette visite éclair prend tout le monde de court, les communistes et Mitterrand.
20 mai
André Rousselet me dit que Mitterrand lui a demandé, le 10 mai, d'organiser un contre-feu à la campagne de presse qui lui est défavorable.
Ce qui prouve – c'est aussi sa conviction – que la machine est relancée. Quitte à ce que ce soit lui, en octobre ou en novembre, qui annonce : « Je renonce à me présenter. »
D'ici là, il s'y est engagé auprès de Rousselet, il rencontrera les rédactions parisiennes.
21 mai
Jacques Chirac a téléphoné à Michel Debré en s'invitant à dîner chez lui, rue Jacob, la semaine prochaine. Pour parler de quoi ? De candidature, puisque c'est la seule préoccupation des uns et des autres, en ce moment.
Chirac, lui, je l'ai rencontré le 17 mai à RTL pour la première fois depuis longtemps. Il est invité à déjeuner par Jacques Rigaud, le patron de RTL, accompagné de Raymond Castans, son directeur d'antenne, avec l'équipe politique de la station 30 . Il me dit, au moment où nous prenons l'ascenseur qui conduit à la salle à manger, au dernier étage de la station :
« Je serai président, vous savez ?
– En 1980 ?
– Non, non, je ne plaisante pas : en 1981 !
– Vous pensez que VGE est aussi faible, aussi fragile que vous me le disiez en Corrèze il y a quatre ans ? Vous n'avez pas changé d'avis ?
– Il est fragile, oui. Encore plus ! Vous verrez qu'il ne se présentera pas ! »
Pendant le déjeuner qui suit, il tient à me montrer, je ne sais par quelle affectation, qu'il ne connaît pas les journalistes – façon de me signaler qu'il s'en fiche. Il s'empare du carton qui désigne ma place à la table triangulaire, orgueil du décorateur de la station, le retourne, écrit et me repasse le carton : « Qui est à la droite de Pierre Charpy ? » (Pierre Charpy, c'est l'éditorialiste du journal du RPR, donc un de ses proches.) Je suis sidérée, parce qu'il s'agit de Bernard Lefort, journaliste politique plus que connu, dont les articles ont marqué la IV e et la V e République. Je ne peux pas croire qu'il ne le connaisse pas. J'inscris donc le nom de Bernard Lefort et lui rend le carton, tout ce manège ne passant évidemment pas inaperçu des convives. Manifestement, le nom ne lui dit rien. Du moins veut-il le faire croire.
Ce n'est pas la première fois que je le remarque : veut-il démontrer par là qu'il se fiche de la presse et de ce qu'écrivent les journalistes, ou bien signifier qu'il est d'une autre génération, qu'il ne connaît pas les « vieux » journalistes, que l'avenir est à lui ? Je ne sais. Cela me rappelle sa volonté de revendiquer une certaine inculture, son horreur de la musique, alors qu'il s'intéresse à une multitude de choses ! Pourquoi affecte-t-il de se détourner de ce qui l'intéresse le plus ?
Michel Debré, à qui je fais part, au cours d'une conversation, de la certitude de Chirac, prend un air suspicieux : « Oui, Chirac est persuadé que l'affaire des diamants empêchera Giscard de se représenter. D'ici à ce qu'il la fasse rebondir lui-même, il n'y a qu'un pas ! »
Les différentes déclarations de Jacques Chirac depuis le début de l'année montrent bien, en effet, qu'il n'est pas prêt à lâcher le morceau. Au début de l'année, la presse a parlé d'un possible rapprochement avec Giscard ; je n'en ai pas vu, moi, le moindre signe. Il n'a au contraire jamais cessé de forcer le ton. Après la condamnation du « laisser-aller » en février, il y a eu, en mars, une phrase de lui disant qu'on ne retiendrait rien, ou pas grand-chose, du septennat de Giscard 31 .
Et encore il y a à peine quelques jours, le 14 – je retrouve à l'instant la
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