Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Parti rende compte des discussions internes entre communistes et des arguments échangés avec les socialistes. Marchais s'y oppose. Le conflit entre les deux hommes vient de là.
Le procès Fiszbin ressemble malheureusement aux procès communistes d'Europe de l'Est. Le problème est que Fiszbin, qui a tenu tête pendant des mois à Marchais, qui a plaidé avec force pour sa cause, qui a publié en mars un livre courageux 27 , est aujourd'hui totalement au bout du rouleau. Il ne supporte pas physiquement cette tension, l'abandon de ceux qui lui étaient le plus proches : dix-huit mois après les premières querelles, les premières crises, il est vidé, liquidé.
Il finit par me confier ce que son état physique, aujourd'hui, révèle : il est atteint d'une grave maladie et n'en a plus pour longtemps. Cela ne se voit pas encore, mais il a du mal à tenir sur ses jambes, sa démarche devient chaque jour plus hésitante, sa parole, bientôt, me dit-il, va flancher.
Terrible.
17 avril
Lecanuet me raconte à sa manière, ironique et consternée, comment, lorsqu'il est arrivé à la Chancellerie en 1974, le chef du service politique du Monde , Raymond Barrillon, lui a présenté un de ses jeunes collaborateurs, Philippe Boucher. « À la fin de notre déjeuner, raconte Lecanuet, je dis à Philippe Boucher : “Eh bien, dans la mesure de mes moyens, je vous aiderai. – Je n'en ai nul besoin, m'a répliqué Philippe Boucher, j'aurai vos notes avant vous !” »
« Et c'était vrai ! » conclut Lecanuet.
Sur Michel Rocard, il a cette phrase : « Autant il est empêtré dans la politique étrangère, et même dans la politique intérieure, autant il a la poésie du social ! »
Il pense que si Rocard est candidat, Giscard a du souci à se faire.
Rencontré Robert Galley : « Pourquoi je reste au RPR avec Chirac aujourd'hui ? Eh, pardi, pour rabattre les voix sur Valéry Giscard d'Estaing au deuxième tour ! »
20 avril
Les sondages sont unanimes. Le dernier en date, pour Le Point , donne la mesure de la cote actuelle de Giscard et de ses probables compétiteurs. 37 % au premier tour pour Giscard, 18 % seulement pour Mitterrand, 15 % pour Chirac, 14 % pour Marchais. Le deuxième tour est meilleur encore pour Giscard : il triomphe de son adversaire avec 57 % des voix s'il s'agit de Michel Rocard, avec 61 % si Mitterrand est opposé à lui.
24 avril
Olivier Guichard me parle du livre qu'il vient d'écrire sur le général de Gaulle 28 . Il y a travaillé trois ans en se retirant quelques heures par jour dans un endroit où personne n'a jamais eu l'idée de le chercher : dans son bureau de l'Assemblée nationale. Il ne s'est préoccupé dans ce livre que du point de vue du Général, comme s'il était en quelque sorte ses yeux et ses oreilles. Il faut dire qu'ils ont vécu tous les deux à peu près seuls rue de Solférino, en 1947, quand tout le monde commençait à leur tourner le dos.
Ce qui touche le plus Guichard, ce sur quoi il revient dans son livre, c'est sur ce qu'il appelle « la faille » de 1968. D'après lui, de Gaulle a été, ces jours-là, dans une situation qu'il ne connaissait pas : il a été habitué à intervenir personnellement dans des circonstances graves : en 1940, pendant la guerre ; en 1946, pour son départ ; en 1958, lorsqu'il a décidé de revenir ; en 1961 et 1962, sur le conflit algérien. « Il décidait et le gouvernement Debré exécutait. En 1968, au contraire, il s'est trouvé face à un gouvernement qui ne prenait pas à la lettre ce qu'il disait. Lorsque Pompidou s'est absenté, par exemple, il a eu face à lui Joxe, Peyrefitte, Fouchet qui n'ont pas appliqué – heureusement ! – ses recommandations. Il s'est senti privé de ses courroies de transmission. Il a voulu établir un contact personnel direct avec les Français, le 24 mai, et cela a été une catastrophe. Puis il a voulu en sortir par un référendum, et son idée a fait fiasco.
« Après les législatives, qu'il n'avait pas voulues et qui ont néanmoins été un triomphe, il est revenu à son idée de référendum, et il s'est cassé la gueule. Personne n'a essayé de le retenir vraiment, et d'ailleurs personne n'aurait pu le faire. »
Il parle de cette époque déjà ancienne avec une sorte de désolation. Peut-être pense-t-il à tout ce qu'il a fait aux côtés du Général, et surtout à ce qu'il n'a pas fait : être son Premier ministre.
À un moment de la
Weitere Kostenlose Bücher