Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
libre, matériel complet : 2 000 F », dit l'affiche. Sur une petite table voisine, un démonstrateur s'est installé, qui vante son « matériel complet ».
Michel Crépeau, maire de La Rochelle et nouveau président du MRG, parle à la tribune. Avocat, il a une belle éloquence, faite pour le prétoire, donc un peu grandiloquente. Ce n'est pas pour déplaire aux militants radicaux ou à ce qu'il en reste : avec le départ de Jean-Jacques Servan-Schreiber qui passait déjà, auprès de ces gens, pour un hurluberlu, le génie n'est pas dans la salle. Les auditeurs sont assez âgés, à quelques exceptions près. Les jeunes ont été plus ou moins happés par Mitterrand ou par Rocard. Il faut vraiment avoir l'âme radicale chevillée au corps, il me semble, comme Jean-Michel Baylet ou, dans un genre différent, Maurice Faure, pour rester dans ce parti que l'Histoire malmène depuis la fin de la III e République.
Ce qui est frappant, dans le discours, d'ailleurs assez bon, de Crépeau, c'est une sorte de modestie dont il fait montre par-delà les torrents de mots qu'il prononce. Le MRG, à ses yeux, « a les qualités d'une PME face aux grandes surfaces ». Tu parles d'une perspective !
Je suis injuste, la suite du discours est meilleur ; il y note l'échec de la majorité : « Le Premier ministre, dit-il assez drôlement, ce n'est pas Raymond Barre, c'est François Ceyrac 34 ! »
La gauche ? Pas mieux : il juge que les torts sont partagés entre les différents partis, dont le sien, qui ont provoqué la rupture. Avec une pointe au passage contre Mitterrand : « Peut-être, note-t-il, y a-t-il eu un agacement du Parti communiste devant les ambitions du PS, celles de le ramener à 15 % des voix. »
C'est évidemment une pierre dans le jardin de Mitterrand qui, à l'occasion d'une réunion de l'Internationale socialiste, avait publiquement – je trouve assez imprudemment, vu le but qu'il poursuivait – annoncé cette volonté.
Pendant que Crépeau continue à parler, je me dis que contrairement à ce qu'on pourrait croire, le Parti radical d'aujourd'hui, qui lutte contre l'hégémonie des socialistes, a plutôt tendance à se rapprocher du Parti communiste et à lui faire des grâces. Et pas seulement par calcul électoral, encore que quelques milliers de voix communistes glanées au deuxième tour sont toujours bonnes à prendre. Mais surtout parce que, dans l'esprit des radicaux, l'objectif est de jouer les partis charnières. Si le PS était seul à gauche, il n'y aurait pas de Parti radical, chacun se ruant chez les socialistes pour tenter de garder sa circonscription. Or les radicaux sont un parti d'élus, les calculs politiques ne lui sont pas étrangers.
Crépeau ne fait pas exception à la règle, même s'il parle maintenant du « profond désenchantement » qui a saisi la gauche après l'échec de l'union de la gauche : « Pourquoi la gauche a-t-elle le pouvoir local, et pourquoi, depuis si longtemps, a-t-elle échoué dans la conquête de l'État ? », telle est, à ses yeux, la question fondamentale. Il donne la réponse : la gauche ne s'en sortira pas si elle n'arrive pas à se mettre d'accord sur une plate-forme aux objectifs plus limités que le Programme commun.
« Le PC est une Église, avec ses dogmes et ses certitudes. Le PS ne peut prétendre jouer tout seul, ou absorber le radicalisme. D'autant qu'en son sein, il sera bien obligé de résoudre la contradiction entre le courant guesdiste, marxiste, et l'humanisme jaurésien. »
Là où il me semble que son discours est un peu contradictoire, c'est qu'il réclame à la fois l'union avec les communistes, dont il dit qu'ils ne changeront jamais, et, dans le même temps, il met en garde en ces termes le PS : « Ou bien le PS sera obligé de tenir le langage des autres socialistes européens, ou bien c'est une défaite sévère qui l'attend. »
Le PS ne peut conquérir le pouvoir que par la voie sociale-démocrate, et les communistes ne veulent pas de la social-démocratie. Je ne vois pas comment Crépeau parvient à résoudre cette équation.
11 juin
Débat à l'Assemblée sur la nouvelle loi baptisée « Sécurité et Liberté », défendue par Alain Peyrefitte avec la volonté manifeste de serrer la vis face à la petite délinquance et à l'insécurité qui monte.
Ce pourrait être une loi banale, accueillie dans l'indifférence par l'opposition, comme tant d'autres lois que la majorité
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