Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
impose. Pas du tout : dans les couloirs, je rencontre Mitterrand, accompagné de Robert Badinter. Je les sens tous deux hérissés par cette approche sécuritaire de la justice. Pour Mitterrand, qui a demandé à riposter à Peyrefitte au nom du PS, il s'agit d'une loi de circonstance que justifie uniquement l'approche de l'élection présidentielle. Outre le contenu de la loi, qu'il condamne, c'est surtout la date à laquelle elle est proposée au Parlement qu'il conteste. À quelques mois de l'échéance, la loi de Peyrefitte lui apparaît comme une provocation.
18 juin
Avec Philippe Mestre, nous revenons sur une de ces histoires qui font un raffut terrible à l'Assemblée alors que la France entière s'en fiche. Les députés RPR ont donc entamé une « grève du vote » ( sic ) parce que le secrétaire d'État aux Anciens Combattants, Jacques Dominati, dont on sait quelle place il occupe auprès de Giscard depuis la création du mouvement giscardien, a participé à une cérémonie à Toulon à la mémoire des martyrs de l'Algérie française.
Que le cœur de Jacques Dominati ait toujours battu pour les colons français ou pour les « petits Blancs » d'Algérie, qu'il ait toujours désapprouvé, au moins en son for intérieur, l'indépendance accordée par le général de Gaulle à l'Algérie, voilà qui ne fait aucun doute. Mais il était, à Toulon, ministre de la République. D'où l'extrême agitation qui s'est emparée des députés gaullistes lorsqu'ils l'ont appris. Certes, ils font flèche de tout bois. En l'occurrence, pourtant, ils ont obtenu une forte adhésion des parlementaires en dehors même du carré gaulliste. Mais la polémique ne chagrine pas Philippe Mestre : « Électoralement, me dit-il, l'affaire est désagréable pour le RPR, qui perd les voix des rapatriés ! »
Évidemment, c'est une façon de voir les choses...
J'insiste : une fois de plus, peut-on voir dans cet incident une preuve supplémentaire qu'entre Giscard et les gaullistes, décidément, rien ne marchera jamais ? Réponse vague : « Il y a un problème entre Giscard et la sensibilité gaullienne, assurément... »
Pour le reste, le cabinet de Barre et Barre lui-même ne se font pas d'illusion sur la difficulté de la période : la récession mondiale et la hausse du pétrole entraînent une baisse des exportations, donc un fort déficit de la balance commerciale. Aucune amélioration n'est prévisible à court terme. « Ce qui implique qu'il faille tenir bon, et surtout ne pas changer de cap. Il est nécessaire de conserver son sang-froid. »
Le rôle du Premier ministre, dans tout cela ? « Croyez-moi, dit Mestre, il empêche par sa seule présence que la France soit déjà en campagne électorale ; ce n'est pas si mal ! »
Sous-entendu : sans lui, le cap ne serait pas tenu.
Nous revenons également sur la loi Peyrefitte, qui, après beaucoup de remous à gauche, a été votée par la majorité. Peyrefitte devenu durablement la bête noire de la gauche, accusé par une partie de la droite d'être allé trop loin ? Mestre n'y croit pas : « En politique, dit-il, les choses s'inversent vite. Il faut être prêt à saisir le bénéfice de l'adversité. Peyrefitte a appris en 1968 qu'il fallait parfois être courageux : malgré toutes les menaces autour de la loi Sécurité et Liberté, il nous a dit, il s'est dit : Je passerai quand même ; deux cents avocats ne me feront pas reculer. Et il a fini par gagner ! »
Pour finir, il ne me cache pas que l'approbation du budget 1981 sera difficile. S'il le faut, Barre fera jouer le 49-3 sur la première partie comme sur la deuxième partie de la loi de finances.
19 juin
Déjeuner à l'ambassade américaine, hier, 18 juin. Apparemment, le voyage de Giscard à Varsovie n'aura pas été inutile puisque, dixit l'ambassadeur, il a pu se rendre compte de la fermeté des Soviétiques. Le sommet de Venise doit avoir lieu, sur ce sujet, dans quelques jours. Le clou du sommet sera évidemment l'Afghanistan et la façon dont Brejnev tiendra la promesse faite à Giscard en mai dernier : celle de retirer une partie des troupes russes d'Afghanistan.
24 juin
François Mitterrand fait aujourd'hui sa première conférence de presse depuis décembre 1979. Il propose d'entrée de jeu de traiter de politique internationale, puis de défense, de politique économique, puis de la loi Peyrefitte et de la situation au Parti socialiste.
Sa déclaration
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