Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
redresser l'État, de refuser la fatalité du déclin, dire son espoir dans une société qui ne compterait plus deux millions de chômeurs. Debré le sait, c'est pourquoi il a voulu commencer sa campagne nationale par son public local.
Je ne sais pas ce qui l'attend, et je subodore que c'est le pire plutôt que le meilleur. Il ne se fait aucune illusion, me dit-il en quittant l'estrade, mais je sais bien que les hommes politiques s'en font toujours. Pour une raison simple : ils sont entourés de leur état-major, de leurs amis politiques, ils sont reconnus par la foule, ils n'ont jamais l'occasion de voir leurs adversaires en campagne ; par définition, ils n'assistent pas à leurs meetings puisqu'ils en font d'autres ailleurs en même temps. Ils reçoivent tellement de témoignages de fidélité de leurs amis, qui veulent les soutenir dans l'épreuve, qu'ils ont tendance à penser que la France entière partage l'enthousiasme de leurs proches.
Septembre, quelques jours plus tard, le week-end
Petit passage par la fête de L'Humanité . Formidable de voir à quel point, pendant que les héros de la future présidentielle fourbissent leurs armes tout en se livrant à une course de lenteur, le Parti communiste – la CGT aussi, d'ailleurs – peaufine sa stratégie de l'isolement.
Je regarde à la fête Roland Leroy parler face à la foule de ceux, communistes ou pas, qui sont venus participer à cette grande kermesse. Lui que je croyais assez bien connaître, la dent dure, aimant les artistes et Aragon, capable de distance vis-à-vis de Georges Marchais, il faut l'entendre englober dans une même réprobation indignée tout ce qui n'est pas communiste : Giscard, Mitterrand, Lecanuet, Barre, Rocard, Chirac ! Tous dans le même panier ! Pas un pour sauver l'autre ! Tous ces gens-là bloquent à la fois l'espérance, le changement, la réforme et le progrès. Bigre !
Comme par hasard, dans un livre qui paraît cette semaine, Georges Marchais – qui, comme tous les autres éventuels candidats, participe à la même course de lenteur – en appelle aux 17 millions de « pauvres » pour le soutenir dans son combat tous azimuts contre les partis et leurs dirigeants. Tandis que Georges Séguy ou Henri Krasucki ne perdent pas une occasion de dénoncer en une longue litanie tous les syndicats ouvriers ou patronaux, à l'exception bien sûr de la CGT.
Le problème est que ce « front commun » ennemi n'existe que dans leur imagination : il n'y a déjà pas de front commun entre Rocard et Mitterrand à l'intérieur du PS, difficile de croire qu'il puisse en exister un entre Giscard et Mitterrand !
1 er octobre
Deux mots, ou plus que cela, sur notre dernier rendez-vous avec Giscard, le 23 septembre. Pourquoi, tout à coup, est-ce que je le trouve une quasi-caricature de lui-même, au moins par le ton ?
Sur le fond, en revanche, il est intéressant. Il parle longuement des problèmes de Défense :
« Il faut au moins cinq ans pour les comprendre », dit-il d'emblée.
Je ne peux pas ne pas faire ce simple calcul : étant donné qu'il est au pouvoir depuis six ans, les comprend-il depuis six mois seulement ? Passons.
Il continue : « Il y a à l'heure actuelle deux ou trois Français seulement qui peuvent en parler. Le général Méry, peut-être... Sur la scène internationale, pas grand monde non plus. Carter n'y comprend rien. Il n'y a que Schmidt qui y comprenne quelque chose. »
Décidément, Helmut Schmidt, aux yeux de Giscard, n'a pas d'équivalent. Je pense que c'est le dirigeant du monde qu'il estime le plus. Tout ce qu'il dit est, pour Giscard, frappé d'une grande intelligence, en tout cas d'une vaste expérience.
« Lorsque je suis arrivé au pouvoir, Schmidt m'a dit : “J'ai honte pour vous de l'état dans lequel est tombée l'armée française.” Et il avait raison ! »
J'avoue que j'imagine mal, même de la part d'un ami, puisque Giscard revendique toujours son amitié pour le chancelier allemand, comment on peut oser dire cela à un chef d'État, fût-il proche. Giscard, lui, ne voit rien à redire à cette intrusion dans la politique militaire française. Et de citer l'armée qu'il a trouvée lorsqu'il a été élu : les comités de soldats, les bidasses furieux. « Tout cela, conclut-il, est terminé, Dieu merci ! »
Il évoque la construction des sous-marins pour dire que, tôt ou tard, assez vite, même, l'existence de ces grands machins au fond des mers
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