Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
voix qu'il va ramasser, les électeurs qu'il va conquérir.
Lettre datée du 9 août : « La bourrasque est forte, une vraie tempête, et comme dans toute tempête, on ne sait comment on en sortira. Je vais tenter de me battre au mieux. Je traverse, comme vous pouvez l'imaginer, une passe difficile – une nouvelle fois. »
Lettre datée du 16 : « À quoi bon ? C'est une question que je me pose, que je me force à me poser à moi-même pour obtenir du fond de moi-même la seule réponse : impossible d'agir autrement. L'honneur de vivre. L'honneur de vivre jusqu'au bout.
« Ce matin, en sortant du bain – frais 42 –, des amis m'ont demandé : quels sont les hommes qui ont marqué votre vie ? Je réponds : mon père et le général de Gaulle. Personne d'autre ? Non, personne d'autre...
« Je suis remonté avec mon chien. J'ai commencé à ranger mes papiers. À quoi bon ? Il y a un doute qu'on ne peut écarter de soi. J'aurais pu être autre. J'aurais pu être mieux, faire plus, j'aurais pu aussi mourir plus jeune. Au mois d'août 1980, le passé étant ce qu'il fut, il me reste ce qui fut l'essentiel, ce qui est l'essentiel : l'honneur de vivre. Mon père. La grandeur de la France. Le général de Gaulle. Et, de toute mon éducation, et de toute ma réflexion, la République, la liberté, le combat politique – pour les autres. Pour quels autres ? Pour toutes les petites Stéphanie 43 qui trottent sur leurs pieds. »
26 août
Coup de téléphone de Gilles Martinet pendant le séminaire des rocardiens à Villeneuve-lès-Avignon. Il s'agit, pour eux, de définir une vraie politique. Edgard Pisani, qui les a rejoints, rapporte sur la politique économique, et Martinet sur la politique extérieure de la France dans la perspective de l'accession au pouvoir. Michel Rocard, me dit Martinet, semble aujourd'hui assuré de la défection de Mitterrand. Les chrétiens de gauche parmi les rocardiens craignent évidemment que Rocard n'aille trop loin dans la « giscardisation » de son programme.
En réalité, je me demande, en l'écoutant et sans le lui dire, si les confidences que m'a faites Mitterrand le 6 août, si son doute, dont il a dû faire part à d'autres – même si mon orgueil journalistique a de quoi en souffrir –, ne correspondraient pas, en réalité, à une opération : il fait dire qu'il ne se représentera probablement pas, Rocard prend cela pour argent comptant et il sort du bois, il présente son programme de gouvernement : la volée de bois vert des adversaires du PS tombe sur lui, et Mitterrand a jusqu'au 19 octobre pour voir si sa cote à lui remonte et si celle de Rocard chute. C'est sûrement le dernier quitte ou double de Mitterrand : plus j'y pense, plus j'en suis convaincue.
27 août
Prise de position de Giscard sur les événements de Pologne 44 .
2 septembre
J'attends Jean François-Poncet à l'aéroport du Bourget. Il part pour Sélestat où il va rencontrer les Jeunes giscardiens. Je tiens, moi, à l'interroger sur le dénouement, heureux mais provisoire, de l'insurrection polonaise 45 .
Pendant ce temps, je me rappelle ma conversation avec Jean-Marie Poirier, mardi ou mercredi dernier. Curieux, les sentiments qu'il porte à VGE ! Il me le décrit à la fois comme mesquin, préoccupé par moments de choses futiles : argent, titres, honneurs, et, à d'autres moments, dominant les problèmes, intelligent, éclairant. Il me cite en exemple le Conseil des ministres de mercredi dernier : il est admiratif, vraiment, des propos tenus par Giscard à propos de la Pologne. Personne ne suscite à la fois si grande admiration et si grande irritation.
Les petits traits désagréables, les menus défauts de Mitterrand paraissent mille fois moins agaçants pour son entourage. D'ailleurs, je ne trouve pas autour de lui de proches que son comportement agace. Les femmes ont l'air de se faire à la façon dont il les traite : alternativement lointaine et proche. Ses lieutenants se font à tout sans rechigner. Ses amis, comme Rousselet ou Dumas, puisque Dayan n'est plus, l'aiment sans mesurer leurs sentiments. Et ses ennemis le détestent. Il n'inspire pas ce que Giscard suscite : frustration et admiration mêlées. Envie de lui être proche et impossibilité d'y parvenir.
Jean François-Poncet a fini par arriver. Tandis que je survole les vallées et les montagnes françaises, il me parle de l'Afghanistan : l'Amérique, dit-il, a privilégié les
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