Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
représailles par rapport au soutien à la résistance afghane. Valéry Giscard d'Estaing a fait le contraire.
« Ce n'est pas ce dont j'avais l'impression, lui dis-je.
– Non, c'est vrai, parce qu'il l'a mal dit. Mais c'est ce qu'il a pensé ! »
Il me parle également de la Pologne : il semblerait (donc ne pas mettre dans sa bouche à lui, Jean François-Poncet) que Giscard ait envoyé à Gierek, à un moment de tension capitale, un télégramme personnel l'adjurant d'écouter les revendications des grévistes. L'ambassadeur de France a vu par deux fois Gierek. Lors de la première rencontre, celui-ci lui a dit qu'en aucun cas il n'accepterait l'existence de syndicats libres en Pologne. « Nous savons donc, dit Jean François-Poncet, qu'il y a eu un moment, au début des événements polonais, où Gierek a été tenté de démissionner : dépression, refus d'accepter son échec. On a vu, Dieu merci, ce que cela donnait, puisqu'il a fini par les accepter. »
Quels sont aujourd'hui ses rapports à lui avec VGE ? Il le voit une heure, une heure et quart par semaine : sauf en période de crise grave, cela suffit pour faire le point. Il lui est arrivé dernièrement, sur la Pologne notamment, de l'appeler ou d'être appelé par lui deux ou trois fois par jour.
Lorsque Jean François-Poncet est l'invité d'une émission télévisée, VGE l'appelle aussi pour lui demander comment il compte présenter les choses, ou pour lui suggérer d'aborder un sujet plutôt qu'un autre. Il le fait, me dit François-Poncet, avec une grande délicatesse.
Venant de lui dont tout le Quai d'Orsay ne cesse de dire qu'il a très mauvais caractère, la précision ne m'étonne pas trop : Giscard doit ne pas vouloir prendre de risques...
Voilà, nous arrivons à Sélestat. Suit une conférence de presse sur le rôle européen de Strasbourg : à l'entendre, « il n'y a pas de défenseur plus convaincu du rôle européen de Strasbourg que le président de la République ».
Puis une rencontre avec les Jeunes giscardiens, tous ou à peu près en chemise Lacoste, pour faire moderne. Il leur esquisse une vaste fresque de l'état du monde, leur parle des crises mondiales, de la paix menacée par l'Afghanistan, des pays de l'Est, du développement du tiers-monde, de la France au milieu de tout cela. Il est beaucoup plus politique et beaucoup moins « technocrate » que je ne le pensais. Son adhésion à Giscard, du moins en politique étrangère, est totale. Il ne rate d'ailleurs pas une occasion de lui rendre hommage, décrivant le président de la République comme « un homme manifestement à la hauteur, respecté dans le monde, compétent, calme et sûr de lui ».
Souvent – ainsi tout à l'heure à l'aéroport où il a donné une mini-conférence de presse, et même ici où le public lui est en principe acquis –, il doit affronter la même question qu'apparemment se pose toute la France et que les jeunes eux-mêmes formulent avec d'infinies précautions : Giscard a-t-il fait preuve de faiblesse et de complaisance vis-à-vis de l'URSS ? Il le dément évidemment avec la dernière vigueur, avec toujours les mêmes mots : le Président a eu raison d'aller à Varsovie le 16 mai dernier, car le dialogue est toujours nécessaire. Et il a eu d'autant plus raison que les Soviétiques, après cela, ont dû garder vis-à-vis de l'insurrection polonaise une retenue qu'ils n'auraient peut-être pas eue si la détente entre l'Est et l'Ouest avait été enterrée, après l'Afghanistan.
Nous voilà dans l'avion du retour. Il se débarrasse d'un coup de son image un peu guindée de ministre des Affaires étrangères, et se laisse aller à parler sans diplomatie de l'Afrique, « plus que mal partie » : « L'Algérie est un désert, la réforme agraire a échoué, l'industrie n'est plus qu'un champ de carcasses ; le Maroc vieillit avec Hassan II, la Tunisie se survit, l'Afrique noire est tuée par les problèmes économiques et politiques : pas un pays pour sauver l'autre ! »
Puis il aborde les deux problèmes qui le préoccupent particulièrement, la Pologne en premier lieu :
« C'est un fait politique de première grandeur. Si les choses demeurent en l'état, il s'agit d'un phénomène capital. Dans les années qui viennent, l'Est constituera un vrai danger. Il n'est pas exclu, si nous faisons de la politique fiction, que la contagion polonaise s'installe partout. À moins que la Russie soviétique ne soit
Weitere Kostenlose Bücher