Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

L'Express .

    Dîné ce soir chez Jean François-Poncet. Il est persuadé que, dans la campagne, la politique extérieure de Giscard ne sera pas remise en cause par ses adversaires. Selon lui, la rencontre de Varsovie avec Brejnev aurait finalement été très bien accueillie par l'opinion publique.
    « Dans le pays, peut-être, lui dis-je, mais dans l'électorat giscardien ? »
    Il convient que c'est là effectivement que le bât blesse. Il ne semble pourtant pas le redouter outre mesure.
    Après le dîner, Jean Serisé, hôte lui aussi du ministre des Affaires étrangères, m'entreprend sur Michel Rocard :
    « Il y a un effet Rocard, me dit-il. Peut-être Michel (il l'appelle par son prénom parce qu'il a été son patron à la direction de la Prévision) aurait-il eu du mal, physiquement, à tenir jusqu'au bout, mais il aurait, j'en suis sûr, plus sérieusement menacé Giscard que Mitterrand. »
    Je m'amuse : maintenant que les dés sont jetés, ils parlent ! Ils ont dû alors être sacrément soulagés lorsque Michel Rocard a abandonné ! Mais ils se trompent s'ils croient Mitterrand incapable de susciter un effet quelconque.
    On verra...

    Le lendemain, 6 janvier
    Ce matin, premier sondage qui donne Mitterrand vainqueur contre VGE : 51/49. Il s'agit d'un sondage d'Indice Opinion sur lequel je fais les plus vives réserves. La presse étrangère est moins circonspecte : Die Welt 1 souligne que l'avance enregistrée par François Mitterrand « confirme une tendance sensible depuis plusieurs semaines. L'hôte du Palais de l'Élysée, poursuit l'article allemand, n'a plus le vent en poupe. Sa réélection, qui paraissait encore certaine à l'automne, est brusquement devenue douteuse ».
    Que s'est-il passé depuis le mois de novembre, quand VGE, selon le même institut de sondages, était donné élu haut la main avec 58 % des voix ? Montée des mécontentements, ou plus exactement polarisation des mécontentements sur celui qui est à l'Élysée et qui n'est pas encore candidat ? Impression que Giscard s'est davantage occupé de politique extérieure qu'il n'a été proche des gens ? Sans doute les deux à la fois.
    « Les choses peuvent encore changer d'ici le premier tour », ajoute néanmoins le journal de Springer.
    L'amitié entre Giscard et Helmut Schmidt n'est d'aucun secours.

    Vœux à la presse de Valéry Giscard d'Estaing : il nous recommande « la raison, la mesure et l'exactitude... ».

    8 janvier
    Déjeuner avec Christian Blanc, encore tout endolori de la défection de Michel Rocard. Il sent, comme moi, qu'au dernier moment Rocard n'a pas osé sortir de la légalité du PS. « Il a un sens aigu de la démocratie, du militantisme, du Parti. Trop, en tout cas, pour s'être finalement lancé dans l'aventure ! Au bout du compte, soupire-t-il, c'est le caractère qui fait les hommes politiques, et rien d'autre ! »
    Il revient sur le film de ces dernières semaines. Christian Blanc aurait d'abord souhaité que Rocard se batte plus tôt. Puis, surtout, qu'il emploie dans sa déclaration de Conflans le mot « irréversible ».
    Rocard a donc reculé. Sans solliciter l'avis de ses conseillers, se plaint Christian Blanc, qui me cite le commentaire d'Edgard Pisani, le 19 octobre au soir : « C'est la première fois que quelqu'un d'autre que moi tourne une page de ma vie sans me consulter ! »
    S'agit-il d'un recul, d'une sorte de pudeur protestante, ou d'une incapacité à considérer qu'il représentait quelque chose pour les Français ?
    L'erreur, sans doute, l'erreur principale date du congrès de Metz : « Surestimation, me dit-il, par Pierre Mauroy du poids de Rocard dans le Parti. Mauvais discours de Rocard le premier jour du congrès. Phrase fatidique, à la fin : “Je ne serai pas candidat si vous l'êtes.” Trois ans d'incessants travaux pour déboucher sur une dérobade... »
    La déception se lit sur le visage de ce jeune lieutenant qui a trop cru à une aventure qui n'était pas la sienne. Pour un temps, il abandonne la vie politique. Avant, plus tard, de jouer la partie – pour lui, cette fois, je présume.
    La signature d'un accord entre Elf-Aquitaine et la Libye suscite aujourd'hui une énorme polémique. À retardement, car l'accord a été signé en réalité le 1 er  décembre dernier. L'affaire fait un foin du tonnerre parce que l'annonce, ces jours-ci, par la Libye, de l'accord conclu avec le groupe pétrolier, purement commercial, tombe pile