Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
au moment où le colonel Kadhafi annonce que la Libye absorbe une partie du Tchad. Le ministre de l'Industrie, André Giraud, qui n'a jamais aimé Albin Chalandon, le désavoue.
Que d'hypocrisie ! Le gouvernement français, mais aussi Giscard, savaient, parce qu'Albin Chalandon le leur avait dit, l'intérêt que présentait la Libye pour le groupe pétrolier : des découvertes y avaient été faites par Elf à la fin des années 1970. Les négociations avec la Libye duraient depuis deux ans, tout le monde était au courant.
Albin Chalandon, que je rencontre aujourd'hui, me raconte, agenda en main, qu'il s'est rendu à Tripoli en novembre dernier, après que le colonel Kadhafi lui-même a finalement accepté de reprendre personnellement la négociation. Il n'était pas parti sans prévenir l'Élysée. Il s'était même inquiété de savoir si les mauvaises relations diplomatiques entre la France et la Libye posaient problème. L'Élysée, par la voix de son secrétait général, lui avait fait dire qu'il n'y en avait aucun : « Business as usual »...
Son voyage, donc, n'a pas été secret le moins du monde : il avait rencontré là-bas des hommes d'état libyens, dont le fameux commandant Jaloud. Il était lui-même accompagné de ses collaborateurs. Rien de tout cela n'était clandestin. L'ambassadeur de France avait été mis au courant. Les dépêches diplomatiques en avaient fait mention.
En trois jours, l'accord attendu depuis deux ans avait été signé, le 1 er décembre donc.
Le malheur est que les Libyens, qui ne sont pas des enfants de chœur, ont mis l'accord dans un tiroir, et l'ont ressorti pile au moment où ils sont entrés dans la capitale du Tchad.
La concomitance est fâcheuse, en effet, pour le gouvernement français qui ne veut pas donner l'impression d'avoir autorisé le dépeçage du Tchad en contrepartie d'un accord commercial. De là à essayer de faire porter le chapeau à Chalandon !
André Giraud, le ministre de l'Industrie que je questionne, fait mine de ne pas avoir été mis au courant, l'Élysée ne pipe mot.
Il n'y a que Raymond Barre qui, courageusement, accepte de « couvrir » Chalandon. Ce qu'il fera d'ici à quelques jours, il le lui a assuré, en mettant fin à l'hypocrisie générale.
9 janvier
Kissinger aurait dit, paraît-il, à Jean Daniel : « VGE est un traître, nous préférons à tout prendre Mitterrand. Varsovie, l'annonce du retrait des troupes soviétiques, c'est trop ! »
Je suis bien incapable de vérifier, bien sûr, ni auprès de Kissinger, ni même auprès de Jean Daniel.
Autres sondages en sens inverse aujourd'hui : Giscard gagne. Et même largement.
Quant à Coluche, il continue à recueillir un nombre important de suffrages : 11 % des voix, qu'il prend à la gauche.
Je n'ai pas encore parlé ici du phénomène Coluche parce que j'ai tendance à voir en lui un amuseur, de talent certes, mais avant tout révélateur d'un véritable désarroi des électeurs de gauche. Est-ce parce que je n'ai jamais aimé Coluche, contrairement à tant de Français ? Non, je pense que c'est simplement parce qu'il n'entre pas dans mes propres schémas. Pauvre argument, je l'avoue...
10 janvier
Réunion de Michel Debré au Palais des Congrès. Dès que cesse le ton incantatoire, la phrase est belle et le propos sévère contre le chef de l'État.
De jour en jour, j'ai l'impression que sa sévérité s'accroît. D'autant plus qu'il préfère concentrer ses attaques sur Giscard et ne dit pas un mot contre Jacques Chirac, qu'il ignore volontairement.
Formidable optimisme de Michel Debré : il croit que la montée vers les cimes est plus aisée que la dégringolade aux abîmes, et que tous les Français comprennent les propos les plus compliqués.
Mais il s'attend, bien sûr – il me le dit après le meeting –, à ce que les intentions de vote en sa faveur baissent sitôt que Jacques Chirac sera officiellement candidat.
12 janvier
Élection partielle dans l'Eure, la dernière du septennat. Intéressant, parce que l'antagonisme entre UDF et RPR y était si fort qu'une partie des électeurs UDF ont préféré voter dès le premier tour pour le candidat socialiste. Le communiste est certes arrivé en tête. Il n'en reste pas moins que le comportement des centristes sera sûrement analysé, à l'Élysée, avec le soin que l'on imagine.
Comité central du Parti communiste. La direction a tourné la page sur les
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