Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
ont d'autant moins peur qu'ils espèrent un succès de Chirac et non pas une future majorité socialo-communiste.
Le problème de Jacques Chirac est de ne pas apparaître comme un conservateur, mais comme un libéral. Il s'inventerait, s'il le pouvait, une droite à sa droite, comme Mitterrand lui-même s'inventerait un centre !
Même date, le soir
Le soir, à 20 heures, Giscard prononce ses adieux aux Français. Un texte composé de phrases courtes, assez sobre, au moins au début où il souligne qu'il a lui-même voulu que la transition se fasse selon les règles de la continuité républicaine. Je pense que beaucoup de ses amis lui ont suggéré de n'en rien faire, mais qu'il leur a résisté.
Il dit qu'il a perdu, qu'il a néanmoins nourri, pendant ces sept années, un rêve : « Que la France devienne une nation forte et paisible », qu'elle « reste le pays de toutes les libertés », que « les Français soient fiers de la France ».
Dans son message de départ, il estime donc très important de dire aux Français qu'il les quitte en leur laissant la France en bon état, que sa monnaie, le franc, se porte bien, que sa situation dans le monde ne saurait être meilleure. Tout cela, pourquoi ? Pour apparaître à nouveau, le plus vite possible, dans quelques mois seulement, peut-être, comme un recours 26 . D'ailleurs, dans une interview qui doit paraître jeudi, Poniatowski écrit avec force ce que Giscard pense tout bas : « La porte de sortie peut devenir, demain, une porte d'entrée ! »
D'où vient que Giscard choisit, après une dernière phrase sur la Providence dont il souhaite qu'elle veille sur la France, de se lever, de quitter son fauteuil et de gagner la sortie dans une mise en scène à la limite du grotesque ?
20 mai au soir
Longue conversation, hier, avec Michel Poniatowski à qui je suis allée demander d'expliciter son propos sur la « porte de sortie » qui pourrait bien devenir une « porte d'entrée ». Il me parle de l'état d'esprit de Giscard. Je ne le sens pas mécontent d'être à nouveau très proche de celui qu'il aime tellement et dont il a été si attristé de n'être plus autant le complice depuis quelques années : il faut dire qu'après l'échec du 10 mai, l'air se raréfie, il y a beaucoup moins de monde autour de Giscard...
Ponia pense, contrairement à ce qu'une partie de la droite, surtout au RPR, commence à dire aujourd'hui, que les futures élections législatives seront perdues par l'ex-majorité. « Jacques Chirac, me dit-il, a réussi à se débarrasser de Giscard, mais il va perdre les élections : il sera alors compromis et discrédité par cet échec vers lequel il se précipite.
« Je ne me présenterai pas aux prochaines élections, ajoute-t-il, car je suis député européen, et numéro 2 de mon groupe au parlement de Strasbourg. De toute façon, je ne veux pas m'associer à une magouille chiraquienne. »
Dans la mesure où, dans les faits, le grand organisateur de ces élections, celui qui en a pris la direction et en dirige l'exécution, sera forcément Jacques Chirac, l'échec que prévoit Ponia ne lui cause pas un grand déplaisir. Il souhaite au contraire, il me le dit tout net, qu'avec une défaite électorale l'hypothèque Chirac soit levée : il voit déjà le maire de Paris devoir endosser ce fiasco. « Chirac, insiste Ponia, c'est deux trahisons et deux échecs. Il a trahi Chaban et Giscard. Il a échoué comme Premier ministre et il échouera demain aux législatives. »
Que va-t-il donc se passer ? « Eh bien, Mitterrand va remporter les législatives. Nous allons aller à la catastrophe dans les deux ans qui viennent ! »
L'analyse de Ponia est claire : même si Mitterrand obtient une majorité à l'Assemblée nationale, il n'en a pas pour autant fini. Il lui faudra gouverner : or il sera confronté à d'énormes difficultés économiques, il sera ligoté par ses promesses électorales, ou, s'il ne les respecte pas, menacé par les travailleurs en colère. « Ce sera alors le désordre dans la rue ! On va courir à la catastrophe ! » ressasse-t-il.
Dans ce cas – il y croit dur comme fer –, tout reste possible à l'homme, jeune encore – plus jeune que Mitterrand –, qui quittera demain le pouvoir à 55 ans, et pour qui l'échec actuel n'est, comme il l'a dit lui-même hier soir, qu'un « maillon dans la chaîne de l'histoire ».
« Je vois, continue-t-il, la possibilité de
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