Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

affiches, ou quel était son meilleur slogan de campagne. S'il gagne demain, quelle aventure !
    Elle commencera, à 11 heures du matin, lundi, par un dépôt de fleurs, au cimetière de Montparnasse, sur la tombe de Georges Dayan. C'est André Rousselet qui en a eu l'idée après le face-à-face.
    Ce soir, je demande à André s'il compte se rendre à Montparnasse si Mitterrand perd. « Non, me répond-il. Si François ne gagne pas, on ne va pas aller déranger Georges avec nos emmerdes ! »

    Au cours du dîner chez Bofinger – j'y reviens, les choses remontent à mon esprit par paliers successifs –, Mitterrand m'a dit : « Eh oui, c'est que je reviens de loin ! Marchais, Rocard, Chirac, Giscard... Si je gagne, je serai finalement venu à bout de tous ! » Puis, se tournant vers moi : « Une fois de plus, je fais tous les chapitres de votre livre ! »

    10 mai
    Victoire de Mitterrand. Angoisse de ce qui va arriver maintenant.
    Extraordinaire soirée électorale. Dans le studio de RTL, pendant que nous tenons l'antenne, Alexandre Baloud, Philippe Alexandre et moi, nous ne voyons qu'à peine, enchaînés que nous sommes à nos micros, le spectacle qui a lieu dans les pièces de réception attenantes. Nous n'en recevons que les échos.
    Goldsmith, l'homme d'affaires devenu le tout-puissant patron de L'Express , pâlit, manque de se trouver mal, et quitte la rue Bayard 23 plus mort que vif. Ailleurs, dans les autres rédactions, les journalistes qui m'appellent me le confirment : certaines figures s'allongent, d'autres arborent des sourires épanouis. À la télévision, qui la première a montré, dans une sorte de suspense graphique, le visage du gagnant se dessiner petit à petit, ligne après ligne, les buffets restent vides : les dirigeants de l'ORTF n'ont pas faim.
    Tandis que la soirée se déroule, nous mesurons mieux l'ampleur du bouleversement en cours pour la France.
    Dans la soirée, Maurice Faure m'appelle au téléphone. Je lui dis : « Quelle aventure ! » Il me répond d'un ton presque lugubre : « Cela ne fait que commencer. »

    11 mai
    Extraordinaire destin que celui de Valéry Giscard d'Estaing ! Jusqu'à hier soir, il n'avait jamais connu aucun échec, si l'on excepte la période, d'ailleurs brève, où le général de Gaulle l'écarta du pouvoir, de 1966 à 1969. En dehors de cet accroc, depuis le jour de 1959 où il fut nommé secrétaire d'État aux Finances jusqu'à son entrée à l'Élysée en 1974, sa carrière a été bénie des fées. Son échec doit lui apparaître comme particulièrement injuste et insupportable.
    François Mitterrand, c'est tout le contraire. Il arrive à l'Élysée après un parcours heurté, difficile, inégal. Il a gagné au moment où ses propres amis commençaient à douter de lui.

    12 mai
    Enfermé au 22, rue de Bièvre, le Président s'est entouré de ses amis et conseillers. Il consulte. C'est sans doute Pierre Mauroy qui sera chargé du principal rôle politique dans le futur gouvernement. Comme Premier ministre ? Peut-être pas. Comme ministre d'État, sûrement. Charles Hernu, député-maire de Villeurbanne, barbu et parfois exubérant, proche de Mitterrand depuis plus de vingt ans, héritera sans doute de la Défense. Jacques Delors devrait être chargé des problèmes sociaux et économiques. Il faudra aussi des radicaux dans le premier gouvernement de la gauche : Maurice Faure est tout désigné pour cela. Il s'en lamente par avance : « Je ne veux pas de ministère politique, me dit-il ; ce serait la fin de ma tranquillité. J'aimerais la Construction ou l'Équipement. Je ne suis pas fait pour penser, conclut-il modestement. À la rigueur, un ministère technique... »
    Il est loin d'être enthousiaste : il craint de voir trop rapidement la gauche se désintégrer sous les coups de boutoir des communistes.

    Sur la tombe de Dayan, hier, nous n'étions que quelques-uns. C'était émouvant pour la petite Irène, sa femme.
    Pour moi, je me disais que c'était presque un adieu à Mitterrand. C'est naturel : je le prévoyais.
    Lui est égal à lui-même sous son grand chapeau marron.

    Dans la soirée, il confirme que des élections législatives, comme il s'y était engagé, auront lieu après sa prise de fonction, sans doute les 21 et 28 juin.
    Et si la majorité élue fin juin n'est pas à gauche, qu'est-ce qui se passe ?

    13 mai
    Tandis qu'enfermé chez lui rue de Bièvre, François Mitterrand consulte à tour de