Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
l'échec, et en énumère trois. La première, fondamentale, tient à Jacques Chirac : « Pour que VGE gagne le 10 mai, il fallait que 83 % des électeurs de Chirac au premier tour se reportent sur Giscard au deuxième : 69 % seulement l'ont fait. La deuxième cause a été la crise internationale sur laquelle le Président sortant n'a pas su rassurer les Français. Enfin il y a eu l'usure de l'image de Giscard, qui tient à une sorte de distance, de hauteur propre à son milieu social. Son attitude a été perçue comme une forme d'affectation, d'arrogance. C'est par la bourgeoisie qu'il a été battu. Ce qui rend très ambiguë, soit dit en passant, la victoire de Mitterrand. Celui-ci a été élu par des communistes, d'une part, mais aussi par des bourgeois et des petits-bourgeois. Il sera bien obligé d'en tenir compte ! »
« Être battu par les communistes et les socialistes, bon, d'accord, lui a dit Giscard après sa défaite. Mais être battu à cause d'une trahison, c'est vraiment difficile à admettre ! »
Après cette phrase qui l'émeut lui-même, Ponia se laisse aller, à sa... – je cherche le mot : je ne dirais pas rancœur, plutôt son chagrin. « Giscard a usé du monde sans prendre beaucoup de précautions : Lecanuet, Guichard, et même Alexandre de Marenches. Je l'ai servi dix ans, je n'ai jamais eu de pépin, et pourtant j'ai fait un certain nombre de “coups tordus” pour lui. Il en a usé sans témoigner de rien. Ce qui me choque, c'est le gâchis des hommes ! Il est vrai que c'est une mécanique horriblement compliquée. Il y a des aspects très contradictoires, chez lui ! »
Un coup de téléphone l'interrompt. Un ancien député du Nord, Georges Donnez, demande s'il peut envoyer un mot à Giscard : « Oui, répond Ponia, écris-lui 9, rue de Bénouville, cela lui fera plaisir. »
Il en profite pour répéter à Donnez : « Chirac, qui, politiquement, a assassiné Giscard, va maintenant perdre les élections : lourdement ! Il aura 80 sièges dans la vue. Il va le payer ! »
Son interlocuteur lui demande – je ne l'entends pas, mais je reconstitue tant bien que mal la conversation – si un quidam, que je ne connais pas, est un proche de Charles Pasqua : « Sont-ils du même village, ironise méchamment Ponia, ou de la même prison ? »
Je lui demande, en prenant congé, ce qu'il va faire dans les temps qui viennent. Il m'exprime clairement sa volonté de se mobiliser. Contre Mitterrand ou contre Chirac ? Les deux à la fois, sans doute, encore qu'il me désigne d'abord Chirac : « Le 29 au matin, me dit-il, je veux pouvoir parler librement. Je veux pouvoir dire : deux trahisons et deux échecs, c'est trop ! » Il ajoute : « Il faut six mois pour vider les caisses. D'ici là, on aura une dévaluation de l'ordre de 15 % à 25 %. »
Il continue, à mon usage : « Ça va secouer, pour moi : si je fais ce que j'ai à faire, je vais me foutre à dos toute l'opposition, tout le RPR et une partie de l'UDF. Tous ceux-là n'apprécieront pas que je tienne le langage de la vérité. Si on veut préparer quelque chose qui ne soit pas Chirac – qui serait un danger pour le pays –, si on veut préparer quelque chose de sérieux, il faut quelqu'un qui ose dire avec fermeté ce qui est la vérité. »
J'en conclus que, pour le moment, celui qu'il veut éliminer au premier chef, c'est Chirac. Pour Ponia, le combat contre la gauche commencera après.
22 mai
Journée historique, vraiment, que celle du 21 mai. Journée folle, inouïe, qui monterait à la tête de plus d'un, et dont je me demande comment Mitterrand lui-même en sortira. Toutes ces heures m'ont paru échevelées, frisant tour à tour l'émouvant et le ridicule, et pourtant historiques, je ne trouve pas d'autre mot.
Mitterrand a tenu à montrer qu'il était un Président socialiste. Cela a commencé dès son premier discours sous les dorures de la salle des fêtes de l'Élysée où il a évoqué Jean Jaurès dans ses toutes premières phrases. Cela a culminé dans l'après-midi par le dépôt d'une rose sur sa tombe, au Panthéon.
Les symboles étaient partout : Mitterrand a situé son arrivée à l'Élysée dans la ligne du Front populaire et de la Libération. Chez Jacques Chirac qui le recevait plus tard à l'Hôtel de Ville, il a parlé de la Révolution et de la Commune de Paris.
Autre symbole : la présence autour de Mitterrand de ses amis étrangers de
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