Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
l'Internationale socialiste, pour la plupart les leaders socialistes les plus en vue dans leurs pays : du Suédois Olaf Palme au Portugais Mario Soares, de Léopold Sedar Senghor à Willy Brandt. Façon, pour Mitterrand, de montrer qu'il s'inscrit dans un vaste courant démocrate et socialiste. Qu'il n'est pas le seul socialiste à devoir exercer le pouvoir : d'autres l'ont fait avant lui.
Pour autant, personne autour de lui, lui-même surtout, n'a oublié le souvenir qu'a laissé, en France avant-guerre, l'exercice du pouvoir par la gauche. Après la liesse du Front populaire, il y a eu les caisses vides de 1938. Il sait aussi qu'après l'euphorie de la Libération, il y a eu toutes les difficultés de la IV e République et de la reconstruction.
Toute la journée, j'ai pris des notes que je mets ce soir « au propre », comme disent les écoliers. Mitterrand, un peu froid, presque figé, est donc arrivé à l'Élysée en voiture. Il a été accueilli sur le perron par Valéry Giscard d'Estaing. Le tête-à-tête entre l'ancien et le nouveau président a duré une demi-heure. Ils ont, comme c'est la tradition, paraît-il (encore je ne sache pas quelle tradition, puisqu'une telle scène ne s'est encore jamais produite sous la V e République 28 ), assuré la transmission de secrets d'État. Inutile de dire que nul n'a su ce que les deux hommes s'étaient dit.
Suit le ballet des partants et des entrants : André Rousselet salue Jean-Marie Poirier, qui s'en va et qu'il retrouvera peut-être, ce soir ou demain, dans un dîner parisien. André Chadeau, le préfet qui dirigera sans doute demain le cabinet du Premier ministre, salue son homologue qui sera quelques instants plus tard prié de quitter Matignon.
À 10 h 15, Giscard quitte l'Élysée. Il a le tort de partir à pied, pour faire simple : le problème est que les badauds qui se sont massés le long de la rue du Faubourg-Saint-Honoré ne sont pas de son bord. Il se fait huer lorsqu'il sort. Assez minable, de la part de ceux qui le sifflent.
Giscard parti, Mitterrand, qui l'a accompagné jusqu'au bout du tapis rouge, dans la cour, regagne le salon dit Pompadour où on lui remet les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur. Puis, accompagné du président du Sénat et de celui de l'Assemblée nationale – Poher consterné, Chaban plus serein –, il rejoint la salle des fêtes où l'attendent les corps constitués.
Proclamation officielle des résultats, saluée par 21 coups de canon, et première allocution du nouveau Président. À peine a-t-il terminé qu'il se rend sur la terrasse, face au jardin, où il salue seul le drapeau avant de passer les troupes en revue. Puis il prend possession de son bureau.
Une scène marquante, auparavant : dans la salle des fêtes s'est assis, invité par le nouveau Président, Pierre Mendès France. Lorsque Mitterrand passe devant lui, les deux hommes s'étreignent. Mendès, qui m'a paru à l'image très fatigué, a les larmes aux yeux. Je me demande s'il pleurait de joie parce que Mitterrand était élu ou s'il pleurait sur lui-même qui n'était pas parvenu à l'être. Moment néanmoins symbolique, si on parvient à oublier tout ce qui a séparé depuis des années les deux hommes.
Il est midi lorsque, sur le perron, la nomination de Pierre Mauroy à Matignon est annoncée. Et 12 h 25 lorsque Mitterrand, accompagné de son tout nouveau Premier ministre, part par la grille du Coq en voiture découverte pour l'Arc de Triomphe. Willy Brandt, le chancelier autrichien Bruno Kreisky, Mario Soares, Olaf Palme, M me Allende, la femme du chef d'État chilien assassiné, le grec George Papandréou l'y attendent.
Retour à l'Élysée à 13 heures. Déjeuner avec ses amis ainsi qu'avec certains journalistes qui ont suivi quotidiennement sa campagne. Je n'en suis pas.
Tout cela, le matin, je l'ai « couvert », comme nous disons dans notre langage de journaliste, minute après minute, en direct à l'antenne.
Première destination, l'après-midi : l'Hôtel de Ville. À 17 h 15, Mitterrand doit y saluer le maire de Paris et le conseil municipal. 17 h 30 : courte allocution du Président, puis départ vers le Panthéon où Mitterrand a convié, ce sont les termes retenus, « le peuple de Paris » à une grande manifestation populaire.
Voilà qui n'est certes pas dans la tradition, mais François Mitterrand a voulu tout le monde, sans hiérarchie ni protocole.
Je n'ai aucune chance, partant de
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