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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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Devais-je passer par-dessus la tête de Fillioud et parler directement à Mitterrand de la nomination d'un chef de service ? Le Président est maître des armes, des arts et des lettres, certes ! De là à solliciter son avis sur tout – sur la musique, en l'occurrence, qui n'est certes pas sa spécialité... Devais-je lui en dire un mot, ne fût-ce que par courtoisie ? Je n'en sais rien. Peut-être n'ai-je pas la manière...
    Il y a tout de même des moments, dans la vie d'un caravansérail comme Radio France, où il faut faire vite. J'ai appris de J.-J. S.-S. que ce qu'il y avait de pire, dans une entreprise, c'était le vide. Je suis donc allée vite pour nommer Jouve. Lequel, quoique lié à Vosinski et nommé par Jacqueline Baudrier 52 , est totalement fiable : il aime bien trop France Musique et les orchestres de Radio France pour tenter, pour des raisons politiques (je ne connais d'ailleurs pas ses convictions, et je m'en fiche), de les déstabiliser.

    15 novembre
    Chirac au « Club de la presse »... Je ne l'ai pas entendu, pas plus que ne l'a fait Claude Imbert chez qui je dînais. Parmi les convives, Michel Glotz, l'ami, l'imprésario, le directeur musical de tant de chefs d'orchestre et d'interprètes. Il me parle de France Musique en m'assurant de son aide, si j'en ai jamais besoin. J'en ai besoin. Nous prenons donc rendez-vous pour la semaine prochaine.
    Il m'assure, en attendant, que Lorin Maazel, premier chef invité de l'orchestre national de France, serait peut-être prêt à assumer, auprès des musiciens, la relève de Vosinski.
    Je ne trouve pas, pour le moment, que je m'éloigne beaucoup de la politique. Tout, au contraire, m'y ramène. Notamment cette impression que mon travail est avant tout politique. Même s'il n'en a pas l'air.
    Cela étant, je suis furieuse d'avoir raté Chirac.

    20 novembre
    Aujourd'hui, journée dont je me souviendrai, je pense, toute ma vie. Drame subit, inimaginable, inconnu de tous !
    Lorsque je pénètre dans le bureau de Mitterrand, il m'apparaît livide, figé en lui-même. À trois reprises, dans la conversation, il me parle de maladie. « Kreisky 53 , me dit-il la première fois, est malade, maintenant. »
    Il s'arrête, me regarde de ses yeux que je trouve en cet instant étrangement pâles. Il ajoute avec un sourire acide : « Moi aussi. »
    Puis il me dit qu'il a mal au dos, qu'il souffre le martyre depuis plusieurs mois.
    Enfin, sur le pas de la porte, il me regarde à nouveau, cette fois sans sourire : « Quand je pense que pendant soixante-cinq ans je n'ai jamais été malade ! C'est malin ! »
    Que répondre, que dire ? Je commence une phrase imbécile du genre : « C'est peut-être psycho-somatique. » Je m'arrête devant l'angoisse que je lis dans ses yeux.
    En remontant dans ma voiture dans la cour de l'Élysée, je me dis que je viens de vivre une minute historique. Cet homme s'est battu depuis qu'il a 30 ans pour arriver au pouvoir. Il a passé vingt-trois années dans l'opposition, il a construit le Parti socialiste sur les décombres de la SFIO, il a vaincu les communistes ; et, aujourd'hui, cinq mois après avoir été élu à la Présidence de la République, il est malade. Pour qu'il m'en parle ainsi, c'est qu'il ne s'agit pas d'un simple rhume ni d'une vague indisposition. Le cœur ? Dans ce cas, pourquoi a-t-il mal au dos ? Un cancer ? Mais il n'a pas du tout l'air d'un cancéreux. Depuis que je le connais, il arbore souvent un visage de marbre, un teint cireux. Il l'avait encore aujourd'hui, ce qui fait que ça ne m'a pas paru plus grave que d'habitude.
    Tout de même, quelle malédiction ! Après Pompidou, Mitterrand, frappé à peine élu... Mais ne suis-je pas en train de me raconter des histoires ? Après tout, si ce n'était rien, ou peu de chose, une grosse fatigue passagère, une maladie bénigne ?
    Dans l'après-midi, je suis à Radio France en train d'évoquer les problèmes de France Culture et de France Musique, dans une salle de réunion sans fenêtre baptisée depuis des générations de dirigeants de la maison le « sous-marin », lorsque le téléphone sonne. C'est André Rousselet. Je prends le téléphone et m'isole autant que je le peux du groupe qui continue de discuter.
    À peine ai-je le temps de lui dire que j'ai trouvé ce matin Mitterrand très inquiet de se savoir atteint d'un mal dont je ne sais rien, qu'il me coupe, des larmes dans la voix : « Les pronostics sont

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