Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
de justice internationales. Fabius et Delors se sont contentés d'énumérer des chiffres. Et Mauroy a conclu. De Mitterrand je n'ai pas entendu grand-chose. Pourquoi ce silence ? Parce que si les nationalisations ratent, il pourra en faire porter la responsabilité à Mauroy ! »
Pour le reste, il ne cache pas qu'il se sent maltraité. Lui, au passage, traite carrément Quilès et Jospin de « fascistes ». Il se reprend immédiatement : « Non, dit-il, plutôt des psychopathes ! »
Il aurait souhaité, dit-il, que le prochain congrès socialiste, celui qui va se tenir à Valence, soit celui de la gestion du pays. Ce sera, prévoit-il, celui de la victoire d'un clan.
Le congrès de Valence me démontre en effet que les socialistes ont joué l'esprit de clan contre l'unanimité ! Malgré les efforts de Mauroy, en séance, pour affirmer que le gouvernement est aujourd'hui celui de tous les Français, on a assisté, télévision et images aidant, à un formidable défoulement collectif. Mermaz, le doux Mermaz, l'historien Mermaz, appelle à la fin de la « dictature des banques » sur un ton de colonel de l'Armée rouge. Quant à Paul Quilès, beau polytechnicien aux yeux bleus, il a demandé, d'après ce que j'ai pu en comprendre, à faire tomber les têtes.
De Cancun où il était en voyage officiel, François Mitterrand a compris, à ce qu'on lui en a rapporté, que les choses allaient trop loin. Comme Mauroy, il a rappelé aux socialistes qu'aujourd'hui au pouvoir ils devaient rechercher l'unité nationale plus que la division.
Il n'empêche : le choc est rude.
Lorsque, le lundi matin, je retourne au bureau, je vois quelques-uns des principaux cadres esquiver mon regard. Je comprends pourquoi lorsque je lis les journaux : les discours qui ont été prononcés ont manifestement choisi comme cibles les présidents de la radio et de la télévision publiques. Au bout de quelques minutes de lecture, je comprends le malaise perceptible autour de moi : beaucoup – pas précisément de mes amis – pensent que mes jours sont comptés, que je vais être débarquée dans l'heure. En continuant à lire la presse du jour, je suis effarée par les phrases de Paul Quilès réclamant que « les têtes tombent 50 ».
5 novembre
Jacques Chirac au téléphone. Il m'appelle en même temps que je l'appelle. Il sait que je compte me rendre – en observatrice, bien sûr – au prochain congrès du RPR.
Si je veux continuer à suivre, depuis l'endroit où j'exerce présentement, la politique, il faut que j'assiste au moins aux congrès des différents partis. Je ne suis pas allée à Valence parce que je n'y étais pas invitée. Bien m'en a pris, d'ailleurs, car j'aurais été obligée de quitter la salle ! Tandis qu'au RPR, en me mettant dans un coin, je pourrai peut-être écouter, ne serait-ce que pour me rappeler les congrès d'antan qui me semblent déjà si loin, au bout de quelques mois !
« Pas question, me dit Chirac passant au tutoiment. Si tu viens au congrès, ce sera dramatique. Fillioud se roulera par terre. Je te le dis dans ton propre intérêt. Ne viens pas ! »
Entendre de lui des conseils de prudence, c'est époustouflant ! Mais il ne parle pas seulement en pensant au ministre de la Communication : « L'atmosphère se durcit entre socialistes et RPR », ajoute-t-il – sous-entendu : si tu viens, tu vas en prendre plein la figure.
Je lui réponds qu'à mon sens, François Mitterrand est plutôt au contraire désireux, on l'a vu après Valence, de calmer le jeu du côté des socialistes et de les exhorter à plus d'ouverture. Chirac en convient à demi : peut-être bien que Mitterrand fait tout pour ramener la sérénité politique, mais ce n'est assurément pas le cas de la majorité socialiste au Parlement. « Et crois-moi, ajoute-t-il, c'est la majorité, en ce domaine, qui impose toujours sa loi. La majorité est maître du jeu et du ton qu'elle donne à ce jeu... »
12 novembre
De Rousselet, cette petite histoire qu'il colporte en souriant, de la même façon que les Juifs racontent parfois des histoires juives :
« Savez-vous comment faire une petite fortune, sous Mitterrand ?
– Non.
– En en ayant eu une grande... avant ! »
Mitterrand s'indigne, il me le dit au téléphone, que j'aie pu nommer André Jouve, le second de Vozinski, à la tête de France Musique sans lui en parler. Il se trouve que j'en avais parlé à Georges Fillioud 51 .
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