Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
giscardienne ?
7 octobre
De la conversation que j'ai eue hier avec Marie-France Garaud, je retiens deux affirmations.
La première, c'est que Giscard, juste avant de partir, a eu la curieuse idée de faire venir auprès de lui Pierre Juillet. C'est avec lui qu'il aurait élaboré sa dernière émission télévisée, ses adieux à la Présidence. À l'exception, insiste Marie-France, de la mise en scène ultime du fauteuil vide. Pourquoi Juillet à l'Élysée ? Quelle drôle d'idée ! Elle ne s'étend pas là-dessus.
La seconde, c'est qu'elle est, me dit-elle, la seule, dans l'opposition aujourd'hui, à ne pas jouer l'apocalypse, encore moins à la prédire. Elle ne croit pas que Mitterrand sera contraint de partir dans les deux ans. Elle pose à l'inverse sur Mitterrand de vraies questions : est-il idéaliste ou réaliste, jusqu'au-boutiste ou, au contraire, en ce qui concerne la politique économique, prêt à changer son fusil d'épaule ? Socialiste ou opportuniste ?
Vu Rousselet qui ne me dit pas grand-chose, si ce n'est que le Bulletin quotidien de Bérard-Quélin est souvent la première lecture de Mitterrand, le matin. « Je le lis, dit-il, ça me donne souvent des idées pour des nominations ! » Je pense à ceux qui font tout pour que leur nom soit cité dans le fameux « BQ ». On les comprend !
13 octobre
Vite, avant que j'oublie, ce voyage avec Pierre Mauroy, ouvert, libéral, pas du tout encombré de sa fonction, ni grosse tête, ni humilité, lui-même, inaltérable, fils de Guy Mollet et de Mitterrand, faisant, comme le lui dit paraît-il Mitterrand, « des progrès tous les jours ».
Il me parle de Delors pour lequel il nourrit des sentiments mitigés. Delors était complètement isolé au dernier Conseil des ministres (il ne me dit pas sur quoi) jusqu'au moment où lui, Mauroy, tout en discutant plusieurs de ses propositions, lui donne raison sur quelques autres. « Quelle chance, dit Mauroy, que Delors déteste Rocard, car autrement... »
Qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'ensemble, Rocard et Delors, les « réformateurs », pourraient tordre le cou aux idéaux des socialistes purs et durs ? Je n'en saurai pas plus.
Justement, nous parlons maintenant de Michel Rocard. Mauroy trouve imbécile cette volonté (de Mitterrand) de l'avoir réduit, de lui avoir donné une trop petite place dans le gouvernement. Il dit – assez justement, il me semble – que la logique, après la victoire de Mitterrand, aurait été l'élimination, au moins partielle, de Michel Rocard. Mais agir ainsi, en lui donnant le Plan, c'était presque l'humilier...
Tout cela affecte Rocard, c'est certain. Mais il résiste sans doute mieux que beaucoup ne le pensaient. Il ne cesse de prendre date, ce qui, bien sûr, insupporte les autres. Delors lui a dit l'autre jour en plein Conseil des ministres : « Oui, je sais, vous, Michel Rocard, vous ne cessez pas de prendre date. Vous prenez date depuis le premier jour ! »
Pierre Mauroy affirme qu'il n'a, lui, aucun problème avec Mitterrand. Il en aurait plutôt avec le PS, qui, me confie-t-il, par la voix de Claude Estier, « déconne ».
Sur le chapitre des nationalisations, une information : Hachette devrait rester en dehors, ce qui, selon Mauroy, exaspère André Rousselet. Et un sourire : il paraît que Dassault, en cédant, contraint et forcé, 28 % de ses actions à l'État, a poliment dit à Pierre Mauroy : « Vous êtes bien gentil, Monsieur le Premier ministre ! »
Rousselet, au téléphone, se plaint d'un collaborateur de Mauroy : « Il ne sait même pas ce qu'est une minorité de blocage ! Il croyait qu'elle servait à tout et à n'importe quoi ! C'est moi qui lui ai révélé que la minorité de blocage ne servait qu'à s'opposer à une augmentation de capital ! Et ce type négocie sur les nationalisations ! C'est à mourir de rire ! »
Vu Pierre Juquin, hier, pour enterrer la hache de guerre Cardoze 49 ! Après notre conversation, je ne donnerais pas cher de Georges Marchais : coincé entre les ministres communistes, qui ont tendance à n'en faire qu'à leur tête, et, à l'intérieur du Parti, les libéraux, attirés par les sirènes du Parti socialiste, le secrétaire général du PC pourrait facilement être pris entre deux feux.
14 octobre
Violente opposition entre les proches de Mitterrand et ceux de Mauroy sur la nationalisation de Hachette. Rousselet, Dumas, Jean Riboud reprocheraient à Pierre
Weitere Kostenlose Bücher