Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
montagnes qu'à aplanir les difficultés !
Deux anecdotes à propos de ces nominations. La première est que personne ne nous avait consultés auparavant. On aurait pu concevoir que Mitterrand, Mermaz ou Poher ait demandé conseil à l'un d'entre nous : la loi ne les y obligeait pas ; la courtoisie, oui. Je pensais que Guimard, par exemple, aurait été au courant bien avant moi des désignations. Eh bien, pas du tout ! Quand, pour les lui communiquer, je l'ai fait joindre par ma secrétaire, en Irlande où il passait ses vacances, celle-ci, paraît-il, lui a annoncé au téléphone, de ma part, les nominations à la Haute Autorité de « MM. Arthur Conte et Fourmi » ! Guimard m'a aussitôt rappelée pour me demander de quelle fourmi il s'agissait !
La seconde est que, lors de la réunion d'aujourd'hui où nous avons accueilli les trois nouveaux, Gilbert Comte, après avoir affirmé qu'il mettrait une sourdine à son sens de la polémique et « de l'eau dans son vin » (ce qui m'étonnerait), nous a demandé tranquillement de faire installer un poste de télévision chez lui. Devant ma surprise apparente, il nous a révélé qu'il ne regardait jamais la télévision et qu'il n'avait pas de récepteur à son domicile !
Pendant qu'il s'exprimait ainsi, j'ai vu Marc Paillet plonger la tête dans ses mains tandis que ce que je croyais être des larmes coulaient entre ses doigts. Stupéfaite, je ne voyais pas ce qui le mettait dans un tel état. À peine la réunion était-elle terminée que je me suis aperçue, après le départ de Comte, que Paillet n'avait pu contrôler un énorme fou rire à l'idée que le président de la République avait désigné, ou fait désigner, dans un organisme visant au contrôle et à l'équilibre de la télévision quelqu'un qui ne l'avait jamais regardée et qui, plus encore, en faisait étalage.
Tout cela ne va pas être commode. Je pense que « Fourmi » et Comte n'ont pas été désignés pour me faciliter la vie.
Début septembre (feuillets séparés)
Karlin et moi, nous avons eu aujourd'hui en fin d'après-midi une sorte de réunion fractionnelle avec les trois membres de la Haute Autorité nommés par le Sénat, pour tenter de nous mettre d'accord, avant la date officielle du vote, sur le nom des futurs présidents de chaînes que nous allons bientôt avoir à nommer ou à renommer.
Inutile de préciser que cela ne s'est pas passé dans nos locaux, mais à côté, dans le bureau de mon ami André Harris, place Victor-Hugo, après qu'il eut donné congé à tout le personnel pour que notre rencontre se déroule sans témoin.
Je le note ici, car il n'y a eu, bien sûr, aucun compte rendu de cette réunion dont nous prétendrions les uns et les autres, si nous étions interrogés, qu'elle n'a pas eu lieu.
Je vais vite. Je n'ai pas abordé là tous les problèmes de nominations qui sont devant nous. Nous sommes tous conscients qu'on nous attend au tournant, et que nous risquons tout à la fois les reproches des milieux politiques et la bronca de la presse. J'ai exprimé ma position sur les deux principales nominations à venir : je souhaite qu'Hervé Bourges soit reconduit à la tête de TF1, et qu'Héberlé ne le soit pas à la présidence d'Antenne 2. Je ne vois pas comment, en ce qui me concerne, je pourrais en 1985 retourner mon vote de 1984. Je propose que nous assurions l'élection, à sa place, de Jean Drucker 23 .
Pourquoi lui ? Parce qu'il s'agit d'un professionnel reconnu, d'un homme de confiance et de concorde. J'ai eu avec lui, depuis des années, des heures et des heures de discussions passionnées sur l'avenir de l'audiovisuel, sur lequel il est intarissable. Et aussi parce que je pense que ni Gabriel de Broglie ni Raymond Castans ne s'y opposeront, pas plus que Daniel Karlin 24 . Je le trouve intelligent et beau, ce qui ne gâte rien. Et je le sais assez fin diplomate pour passer éventuellement le cap des législatives et même survivre à la Haute Autorité en cas de victoire de l'opposition au printemps prochain.
Apparemment, la solution ne déplaît à personne. Une majorité de 5 voix au moins peut se dégager en sa faveur dès le premier tour.
Quant à Hervé Bourges, au bout de quelques minutes de conversation j'ai été persuadée que les trois membres de l'opposition ne voteraient pas pour lui, mais que son maintien ne ferait pas exploser la Haute Autorité.
J'ai appelé aussitôt Jean Drucker à RTL pour lui demander
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