Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Berlusconi amuse beaucoup Mitterrand, avec son bagout à l'italienne.
En revanche règne toujours le flou sur l'autre – ou les autres – chaînes de télévision privées : la loi ne nous donne aucune compétence sur elles, et pas davantage le gouvernement.
Ce qui m'amuse, là-dedans, c'est qu'on a parlé toute l'année – le Président, surtout, dans une conférence de presse tenue au début de l'année 20 – de construction audiovisuelle originale, faite de chaînes verticales regroupant des réseaux de dimension nationale et chapeautant des stations locales, c'est qu'on a demandé un rapport à l'avocat Jean-Denis Bredin sur l'organisation des télés privées, et que tout cela débouche sur une chaîne à l'italienne avec paillettes et feuilletons américains ! Je n'ai rien contre les feuilletons américains : il reste que je ne comprends pas la frénésie avec laquelle le gouvernement et le Président se jettent dans cette distribution internationale de nouvelles licences de télévision.
Je suis favorable au privé, favorable à un équilibre entre le privé et le public. Mais Berlusconi, ça non, je n'aurais pas osé !
Plus sérieusement, je me demande quel bénéfice le Président attend de ces télévisions privées. Veut-il simplement faire cette sorte de cadeau aux Français avant les législatives ? Ou pense-t-il vraiment que l'information sur ces nouvelles chaînes lui sera favorable ? Je ne peux le croire.
20 août
Adieux émus aux trois membres de la Haute Autorité qui nous quittent, et surtout à Stéphane Hessel, éternel jeune homme à près de 68 ans, qui a fait preuve de bout en bout d'une inépuisable bonne humeur et d'un enthousiasme à toute épreuve. Il ne paraît pas affecté à l'idée de s'en aller. Il a toujours été actif et m'assure qu'il ne « se voit pas encore rangé des voitures » !
Et accueil aux trois autres fraîchement nommés 21 , le 15 août. Je suis ravie de voir arriver Raymond Castans, mon ancien « patron » à RTL il y a six ans, une éternité. Le président du Sénat a choisi en lui un professionnel, et c'est tant mieux. J'apprécie moins le compagnonnage obligé avec Raymond Forni et surtout avec Gilbert Comte.
Forni, je ne le connais pas. Je sais qu'il a laissé une très bonne image au Parlement comme président de la commission des lois. Ce n'est pas suffisant pour comprendre ce qu'il vient faire, après des années de vie politique et parlementaire, dans l'audiovisuel. Nous en avons hérité, c'est un comble, à cause de Jean-Pierre Chevènement : Forni, député socialiste, n'a jamais pu être ministre parce que Chevènement, élu du même département que lui 22 , a occupé de façon pratiquement ininterrompue des fonctions gouvernementales. La Haute Autorité est un genre de compensation qui lui a été offerte par le pouvoir politique parce que la perspective d'un poste ministériel lui était bouchée pour des raisons d'équilibre géographique !
Demander à un homme qui a fait de la politique toute sa vie de s'intéresser à autre chose est déjà difficile. Lui demander de combattre pour l'indépendance d'une institution est encore plus aberrant, il me semble. Enfin, on verra. Il n'a pas l'air lui-même ravi d'arriver parmi nous, et demande – c'est sa première interrogation à Corinne Fabre – si la Haute Autorité prendra en charge ses allers-retours à Belfort. Preuve qu'il ne renonce pas à l'action politique ni aux perspectives gouvernementales, lesquelles viendront peut-être pour lui dans des jours meilleurs.
Quant à Gilbert Comte, c'est tout simplement une catastrophe de le retrouver ici. Je suis la seule à le connaître pour l'avoir approché, il y a très longtemps, au journal Combat dont il était un des polémistes les plus virulents. Il avait fait la connaissance de Mitterrand (lequel me l'avait raconté) au cours de je ne sais quel meeting de droite à la Mutualité. Mitterrand était arrivé seul pour porter la contradiction, il avait été hué par l'assistance, et Gilbert Comte avait demandé qu'on le laisse s'exprimer sans chahut. Ils se sont revus assez régulièrement par la suite. Assez pour que, le fil n'ayant jamais été rompu entre eux, Comte finisse par se retrouver à la Haute Autorité !
Curieuse idée, tout de même, sauf si l'on veut me compliquer la tâche, de désigner dans un organe collectif un farouche individualiste, un polémiste avéré, plus attentif à faire battre les
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