Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
privés. Je ne comprendrai jamais pourquoi Laurent Fabius mène ce combat contre André Rousselet. Pourquoi tous ces projets de nouvelles chaînes alors même que l'expérience de Rousselet, unique en France, et difficile, aurait absolument besoin d'être soutenue par le gouvernement ?
À ce propos, il n'était pas inscrit dans la loi que la Haute Autorité ait en charge le contrôle des nouvelles chaînes privées, non plus que de Canal +. Il reste que Rousselet me tient informellement au courant du maximum de choses. Georges Fillioud aussi. Évidemment, pas Matignon.
28 avril
Une heure trois quarts d'émission de Mitterrand. Pourquoi les hommes d'État cèdent-ils si volontiers à la tentation de s'octroyer une émission sur mesure. Ils refusent les émissions bien rodées sous prétexte qu'elles ont été rodées par d'autres ! Du coup, ils essuient les plâtres d'une émission balbutiante !
Cette nouvelle formule, trop ambitieuse, ne le sert pas. Il est parfait, ironique, drôle, tel qu'en lui-même. Est-il toutefois important, pour les Français, de savoir que leur président aime les châteaux, est-il utile qu'il dise des banalités sur Cyrano de Bergerac ? Il n'y gagne rien, je pense.
Encore que je puisse me tromper. Peut-être y a-t-il place en France pour une émission magazine sur le président de la République, toujours présenté comme un monument ?
De toute façon, l'émission manque de rythme, et la performance de Mitterrand finit par verser dans l'ennui. Et puis quelle salle ! Parisienne, mondaine, trop bien dosée. Toutes les fois que le Président fait l'éloge de quelqu'un, le quelqu'un figure au parterre.
Je n'aime pas cette émission, mais peut-être ai-je tort.
2-3 mai
Serge July me raconte cette incroyable histoire : samedi matin, une des secrétaires de Libération est en train de regarder la devanture de l'éditeur José Corti. Arrive Mitterrand avec une jolie blonde. Le Président achète trois livres, en offre deux à la dame. Revient vers le vieux monsieur qui est à la caisse et s'apprête à faire un chèque :
« Combien ? demande-t-il.
– Deux cent quatre-vingts francs », fait le vieux monsieur.
Mitterrand remplit le chèque.
« Pardon, dit le vieil employé, pour les fonctionnaires, on fait 10 % ! »
Trop beau pour être vrai ? July m'assure que la scène est authentique.
25 juin
J'ai reçu il y a quelques jours un coup de téléphone d'André Fontaine, directeur du Monde, qui m'a fait un plaisir fou et m'a dérangé la tête à tel point que je ne l'ai pas consigné ici plus tôt. Il me demande si je serais tentée par l'idée de devenir, à la rentrée, un des éditorialistes de son journal. Envahie d'un bonheur inouï à l'idée qu'il me fasse cette proposition, je lui ai dit que j'allais réfléchir, car une démission de mon poste me paraît impossible au moment précis où nous allons renommer, à l'automne, les présidents de chaînes. Il n'empêche : être journaliste au Monde a toujours été le rêve de ma vie ! Il m'accorde quelques jours pour réfléchir, au plus tard jusqu'au 15 juillet.
Juillet (sans date)
Vu une fois de plus François Mitterrand dans la bibliothèque où j'avais, il y a quelques années, dans les mêmes circonstances, c'est-à-dire en l'attendant, commencé à lire Hernani . Cette fois-ci, c'est moi qui ai demandé à le voir. Je ne veux pas le prendre en traître : je ne voterai pas Héberlé en octobre prochain. Je le lui dis d'entrée de jeu et s'il veut ma démission, il n'a qu'à me le dire, j'accepterai avec plaisir la proposition d'André Fontaine. J'ajoute qu'il n'a aucun souci à se faire pour moi : je retournerai immédiatement au journalisme. Il me demande où. Je le lui dis.
Il est pris d'une prompte colère, me demande quelle mouche me pique, si je ne suis pas devenue folle. Et ajoute qu'il m'a nommée pour six ans à la tête de la Haute Autorité, et que je n'ai qu'à faire mon boulot.
Je résume, mais l'esprit de la (brève) conversation était bien celui-là. Finalement, je dois bien l'aimer, ce boulot ! Ou alors, c'est que je suis maso !
30 juillet
Pendant ce temps-là, j'en entends parler officieusement, il n'est question que d'une cinquième chaîne, laquelle serait confiée à Silvio Berlusconi ! Jack Lang a fait connaître son sentiment : que la future chaîne ne serait pas une chaîne culturelle, et que la création française en serait tenue éloignée !
Il paraît que
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