Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
avant-hier, après un Conseil des ministres qui adopte, à la demande de François Mitterrand, le scrutin à la représentation proportionnelle pour les élections à venir.
Rocard a toujours été hostile à la « RP ». Il le reste, considérant qu'il s'agit là d'une magouille politique inutile. Il pense aussi sans doute que la « RP » a pour inconvénient majeur de permettre aux extrêmes, gauche et droite, de s'asseoir sur les gradins de l'Assemblée nationale. Il n'a pas été convaincu par la plaidoirie de Mitterrand : le Président a déclaré au contraire, durant le Conseil, que, pour être équitable, le maintien du système majoritaire nécessiterait un redécoupage général des circonscriptions quelques mois avant l'échéance, que ce charcutage serait précisément assimilé à un magouillage de première grandeur, et que mieux valait, pour éviter justement toute polémique, adopter pour les législatives la représentation proportionnelle.
Avec un bel ensemble, le milieu politique conteste le geste de Rocard. À droite parce qu'il est à gauche, à gauche parce qu'il refuse un scrutin de nature à réduire l'échec du PS l'année prochaine. Que faire ? Nous sommes tous dans des rôles où rien n'est possible. Rester ? On s'use et on se fait dévorer. Partir ? On trahit !
« Faites ce que vous voulez, disait, paraît-il, Freud à propos de l'éducation des enfants. Ce sera mal ! »
Lassitude, quand tu nous tiens !
11 avril
Christine Ockrent a demandé à venir expliquer à la Haute Autorité les raisons de son départ : elle reproche à Jean-Claude Héberlé de détruire, sans le dire, l'organisation mise en place par Pierre Desgraupes. Il a instauré, selon elle, une « structure parallèle », devenue un système d'autorité qui n'a plus rien à voir avec le fonctionnement de l'équipe précédente. En une phrase, elle résume les choses : « Antenne 2, c'est le président qui dirige tout seul : les directeurs de l'information sont des chefs de service, et les chefs de service, des plantons ! »
Elle le confirme : il n'y a pas eu, à sa connaissance, d'intervention politique pour exiger son départ. Il y a tout simplement incompatibilité d'humeur avec Héberlé.
24 avril
Maurice Faure me raconte qu'il a vu longuement Mitterrand, à Saint-Pierre-de-Chignac, jeudi avant Pâques (lendemain du départ nocturne de Rocard). Mitterrand envisage tous les scenarii possibles pour l'après-1986 18 : « Après l'élection, dit-il, j'ai le choix du Premier ministre. Je peux prendre celui qui m'ennuie le plus ou celui qui les dérange le plus ! » Sous-entendu : Chirac ou Chaban.
Plusieurs choses à tirer de cette confidence. D'abord, que Mitterrand pense qu'il n'y a aucune chance, scrutin à la proportionnelle ou pas, que la gauche remporte les élections l'année prochaine. La seconde est qu'il va prendre son Premier ministre, de façon classique, dans le parti le plus important de l'opposition : c'est-à-dire qu'il pense que Chirac et le RPR vont devancer Giscard et l'UDF.
Faure me raconte aussi que, lorsque Mitterrand a été mis au courant de l'éventuel départ de Rocard, hésitant à lui demander de ne pas partir, il a appelé Laurent Fabius. Celui ci a commenté l'affaire avec un sang-froid étonnant : « Pourquoi rappellerais-je Michel Rocard ? dit-il au Président. C'est un homme politique responsable. Il a sûrement pris sa décision en toute connaissance de cause ! Ce serait me gaspiller que d'intervenir 19 ! »
Mitterrand lui a dit qu'il avait sans doute raison. Toujours est-il que rien n'aura été fait pour retenir Rocard.
Mitterrand et Maurice Faure conviennent ensemble que Laurent Fabius est pour le moins un homme qui sait tenir ses nerfs !
Le plus important, en tout cas, est que Mitterrand n'envisage pas un seul instant de quitter le pouvoir l'année prochaine si la gauche est battue. Faure le voit aussi désireux d'évoluer vers la mise en place d'une « troisième force » ; il l'estime nécessaire, mais ne compte pas, pour le moment, en parler aux socialistes. Peut-être n'en parle-t-il qu'à Maurice Faure qu'il sait favorable à une telle recomposition politique ?
27 avril
Décidément, beaucoup de gens au gouvernement veulent la mort de Canal + quelques mois seulement après sa naissance. Aujourd'hui, Le Figaro annonce que Matignon envisagerait le retrait d'Havas de Canal + pour laisser le réseau à d'autres investisseurs
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