Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

– incontournable précaution – s'il accepterait de se voir désigner à Antenne 2 dans quelques semaines. Mon coup de téléphone l'a pris de court. Il ne croit pas une seconde que les choses soient possibles, mais si, par hasard, elles l'étaient, il accepterait. C'est suffisant pour moi au stade où en sont les choses.
    Cela dit, je ne suis pas fière. Car une telle réunion fractionnelle, qui exclut volontairement quatre membres d'une institution collégiale, dont Paul Guimard et Marc Paillet, est un peu minable, contraire en tout cas à son esprit. Il me semble que je n'ai pas le choix. Si je ne prépare pas le terrain, je risque de connaître en 1985 la même mésaventure qu'en 1984 : la nomination, à Antenne 2, d'un président que je ne souhaite pas. Et une avalanche de commentaires que je redoute presque autant. Si j'avais pu faire confiance à Comte et à Forni, je n'aurais pas eu besoin de cette petite réunion de conjurés.

    24 septembre
    Ne manquait plus, dans tout cela, que l'affaire Greenpeace ! Le ministre le plus sympathique du gouvernement, Charles Hernu, renvoyé, acculé à la démission, puis chargé de tous les maux ! Un Premier ministre avouant devant des millions de téléspectateurs ses « doutes » et « demandant la vérité 25  ». Un rapport demandé à ce pauvre Bernard Tricot. Un cafouillage général !
    La « raison d'État » justifie-t-elle cette panique ? Le Président a-t-il menti ? A-t-il donné des ordres, les a-t-il fait donner ? Savait-il, ou lui a-t-on tout caché ? Comment croire qu'il n'ait été au courant de rien ? Pourquoi diable cette expédition, ces agents secrets, cette troisième équipe de nageurs de combat ? Tel que je connais Hernu, je n'envisage pas une seconde qu'il ait pu agir tout seul ! Mais les services lui ont-ils tout dit ? L'interrogation est là.
    Le feuilleton Greenpeace bat de loin Dallas et Dynasty  ! Personne de sensé n'y croirait si c'était un roman. Encore moins un film.
    La Haute Autorité, dans tout cela, continue son petit bonhomme de chemin cahoteux à la veille de renommer les présidents de chaîne.

    27 septembre
    Si on me demandait aujourd'hui à quoi j'ai passé ma journée, je répondrais : à Orangina !
    De temps en temps, tout de même, on finit, à force d'avoir à définir les nouvelles lois régissant l'audiovisuel, à se torturer les méninges sur des questions auxquelles on n'accorderait, ailleurs qu'ici, aucune importance.
    Exemple : Orangina. Si j'écris quelques lignes ici ce soir sur ce sujet, c'est que, me semble-t-il, l'histoire est extraordinairement révélatrice du rôle de la Haute Autorité.
    À la fin de l'été, Hervé Bourges me demande si je vois une contre-indication au fait qu'il monte un accord de partenariat avec Orangina. Je dis oui, bien sûr, à condition que soient respectées les règles du jeu que nous venons d'édicter 1 .
    Et puis, progressivement, l'émission choisie, celle de « Cocoricocoboy », se met à dériver : on voit les coco girls, si bien roulées, agiter sur l'antenne des bouteilles d'Orangina, dire qu'il faut secouer avant de consommer, etc. Bref, la bouteille jaune est devenue l'héroïne de « Cocoricocoboy » : cela s'apparente davantage à de la publicité clandestine qu'à du partenariat !
    D'où lettre indignée du ministère de la Communication, protestation des publicitaires, revendications d'un certain nombre d'autres sur le thème : « Et nous, alors, pourquoi ne pouvons-nous pas faire la même chose ? »
    Eh bien, nous avons passé toute la journée, à neuf, à nous casser la tête sur la lettre que nous allions adresser à Bourges pour qu'il ne fasse pas de TF1 une succursale d'Orangina !
    Hervé Bourges râle : le budget mis par Orangina à la disposition de la production de l'émission est de 6 millions pour trois mois. Ce n'est pas rien. D'autant que le contrôleur d'État nous avait signalé, cet été, les probables problèmes financiers de TF1, et que, du coup, j'avais demandé à Hervé Bourges, en attendant sa re-nomination, qui doit avoir lieu en octobre, de serrer la vis. Il trouve saumâtre qu'au nom des principes nous lui demandions de renoncer à un contrat de partenariat aussi juteux.
    Une journée de ma vie passée sur Orangina ! Ciel !

    1 er  octobre
    Nous avons commencé aujourd'hui à nous pencher sur les nominations des présidents de chaînes. Dans le silence et le secret, pour éviter les pressions.
    À