Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
de l’UDF, certes, mais aux ordres de Giscard qui n’avait pourtant pas certaines de ses qualités ; ministre de la Justice, certes, mais il s’est beaucoup ennuyé place Vendôme, sans jamais monter plus haut : que lui manquait-il ? La détermination, l’envie, la volonté de briguer à nouveau la présidence de la République ? Alors, pourquoi l’avait-il fait en 1965 ? À moins que cette expérience, pourtant capitale dans sa vie, lui ait laissé un souvenir détestable ?
2 mars
Curieuse, paradoxale campagne ! Caractérisée par une complète absence de suspense.
Depuis des semaines, les sondages émettent les uns après les autres des diagnostics analogues. Les fourchettes oscillent entre 350 et 450 députés pour l’actuelle opposition, sur les 577 qui s’assiéront dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Les vaincus potentiels, pour ne pas dire les futurs vaincus, sont à maints égards ravis d’abandonner le fardeau. Grâce au big-bang, ils ont l’impression ou plutôt l’espoir que leur exil ne durera que deux ans. Aucun d’eux ne met pourtant en doute l’échec de la gauche aux législatives : tous paraissent pressés de se décharger du poids, devenu trop lourd, du pouvoir.
Les vainqueurs désignés, eux, sont plus angoissés. Ils savent qu’ils n’auront pas le temps, en un an, deux ans, de voir se modifier la conjoncture économique. Le déficit ne sera pas résorbé, la reprise de l’activité sera encore incertaine dans le meilleur des cas, et le chômage n’aura pas amorcé une décrue significative. Comment pourraient-ils ne pas entendre, dans leur propre camp, les mises en garde de Charles Pasqua et de Philippe Séguin : le franc fort, les hauts taux d’intérêt interdisent tout optimisme. Mais ce n’est pas assez pourdétourner du pouvoir ceux qui, en 1981 et 1988, ont tant souffert de le perdre.
Apparemment, les autres questions sont réglées : le Premier ministre sera choisi dans les rangs du parti majoritaire, et le nom d’Édouard Balladur est celui qui est le plus souvent cité. Avantage : il convient à tout le monde.
Pour que le big-bang marche, me dit Tony Dreyfus, toujours proche de Rocard, il faudrait que le mode de scrutin soit modifié : pas de ralliement du centre sans représentation proportionnelle. Le hic est que Michel Rocard a démissionné du gouvernement, il y a quelques années, parce qu’il lui était hostile 4 .
« Enfin, Paris vaut bien une messe... », ironise Dreyfus.
15 mars
Pour parfaire mon tour de France des leaders, j’ai suivi à Brest Valéry Giscard d’Estaing, charmeur et acharné comme s’il s’agissait de sa première promenade législative. Je l’ai retrouvé dans la minuscule permanence de l’UDF, à grignoter des petits fours avec des militants flattés de le voir de si près. Autour de lui, une toute petite équipe, dont une très jeune femme – j’allais dire jeune fille – blonde, efficace et autoritaire, qui a l’air de faire marcher les cadres de l’UDF à la baguette 5 . La clef des déplacements provinciaux de Giscard ? Il ne fait campagne que dans les circonscriptions où une primaire oppose un candidat UDF à un RPR. Le but ? Que le nombre de députés UDF élus soit le plus élevé possible, qu’il dépasse même celui des élus RPR pour que Giscard, éventuel chef du mouvement le plus important de l’opposition après mars, soit en mesure d’être Premier ministrable.
Aujourd’hui, je suis en campagne avec Michel Charasse 6 , dans le Puy-de-Dôme. Il m’accueille dans sa maison de Puyjudeau, jolie bâtisse rurale entourée d’un jardin. Les sondages continuent à déverser leurs chiffres : le Front national n’est pas au mieux de sa forme, le PS tourne autour de 19 %, l’UDF tend à se rapprocher du RPR.
Bérégovoy patauge dans l’affaire de son emprunt d’un million de francs et accuse sérieusement le coup : il ne doit pas supporter que toute son action à la tête du gouvernement depuis un an, à la tête du ministère des Finances de 1988 à 1992, soit revue à la baisse à travers ce prisme. Parce qu’il a reçu de l’argent de Pelat, quel rôle exact a-t-il joué dans le rachat de Vibrachoc, quelle connaissance avait-il de l’affaire Péchiney, pourquoi Samir Traboulsi était-il invité à son anniversaire de mariage ? Et le reste à l’avenant... Dès que le Premier ministre apparaît en province pour mener campagne, les pancartes sortent :
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