Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

personnes sont venues faire de la figuration. Rocard est d’une nervosité insensée, brûlé, dévoré par l’angoisse. Son discours est bon, court, mais étrangement distant. Même tonalité chez Pierre Bérégovoy, visiblement au bout du rouleau. Un dîner doit les réunir, sitôt après la réunion publique, dans un petit restaurant des bords de Seine, le Relais Sainte-Honorine. J’y parviens à grand-peine, perdant sans cesse mon chemin dans la nuit. D’autres journalistes m’y ont précédée. Bérégovoy et Rocard sont déjà dans la salle du restaurant, car ils ont abandonné au plus vite leurs auditeurs.
    Atmosphère tendue, à couper au couteau. Personne ne nous offre un coup à boire, encore moins un sandwich pour la route. Notre seule présence importune au plus haut point. Pourquoi ? Qu’avons-nous fait ? Nous sommes là, c’est tout. Nous assistons à la déroute, nous en sommes les témoins : c’est suffisant pour qu’on nous renvoie. Les journalistes, ils en ont tous les deux par-dessus la tête. Inutile d’attendre quelque analyse de la situation que ce soit, ce soir.
    J’en ai assez vu : je remonte dans ma petite voiture et regagne Paris.
     
    Climat bien différent quand j’ai suivi Charles Pasqua, le 17 mars, dans le Tarn, puis à Nice. Son art oratoire est d’un genre nouveau, « pagnolesque », pas seulement par l’accent, mais aussi dans la façon de dire les choses. Il est de surcroît efficace, car il soutient l’attention en faisant alterner les rires et les applaudissements enthousiastes des militants dont le cœur, on le sait, lui est gagné.
    Dans l’avion, il m’a confié qu’il se verrait bien ministre de la Défense : c’est ce qu’il a dit directement à Balladur, le matin même, lorsqu’il l’a accompagné dans une réunion, dans la proche banlieue parisienne. Il me confie avoir fait le tour du ministère de l’Intérieur et se montre sceptique sur l’efficacité des services de renseignements,français ou étrangers. À un collègue américain tout étonné des résultats obtenus par les services français en matière de terrorisme et qui lui demandait quel était son secret, il a répondu, me raconte-t-il en se tapotant le nez et avé l’accent : « The nose ! »
    Je reviendrai plus tard sur ce que m’a dit Pasqua de la suite des opérations.
    21 mars. Premier tour des élections législatives
    Bien qu’on l’ait vue venir, et de loin, l’ampleur de la défaite de la gauche est stupéfiante. Car ce n’est pas tant le RPR et l’UDF qui gagnent, que le PS qui s’effondre 10 , et, avec lui, toute la gauche, d’ailleurs, puisque le PC ne franchit pas le cap des 10 % et que les écolos, à la surprise générale, ne sont pas près d’obtenir le nombre de suffrages que leur prédisaient les sondages.
    À l’intérieur de l’opposition, qui deviendra largement majoritaire après le second tour la semaine prochaine, les électeurs se sont prononcés : malgré les efforts de Giscard, le RPR devance l’UDF. Le mouvement de Jacques Chirac est la première formation politique de la droite. Le Premier ministre de la seconde cohabitation sera choisi dans ses rangs.
    Suspense : Balladur ou Chirac ? Pour moi, il ne fait aucun doute que l’accord est déjà passé entre les deux. Chirac ne voulant pas rééditer l’expérience de 1986, ce sera Balladur. Cela n’empêche pas que Mitterrand peut nommer qui il veut. Enfin non, pas tout à fait : s’il lui venait l’envie de prendre Raymond Barre et que les deux formations de la nouvelle majorité refusent de soutenir le nouveau chef du gouvernement, ou de déposer – et voter – une motion de censure contre lui, ce serait une crise de régime. Et Mitterrand serait peut-être contraint de partir.
    Attendons tout de même la semaine prochaine...
     
    Pour la première fois depuis des années, je ne suis pas devant ou derrière les caméras pendant une soirée électorale. Je ne me sens pas trop exclue du jeu, parce que mon ami Hervé Bourges vient de me confier une émission hebdomadaire sur France 2. À sa demande, Pascal Josèphe, son directeur des programmes, a trouvé pour moi une « niche » inespérée : une revue de presse le samedi à midi. Bourges a fait cela à toute allure, parce qu’il redoutait que le changement de majorité rende impossible mon installation sur une antenne du service public... et son propre maintien à la tête des chaînes publiques. Je commence début