Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
toutes affichent des phrases assassines sur le prêt Pelat à 0 %.
À un moment donné, comme beaucoup, j’ai pensé que les Français – enfin, un certain nombre de Français qui n’appartiennent pas tous à son camp politique – seraient sensibles au fait qu’à plus de soixante ans, un Premier ministre de gauche, ancien ajusteur, n’ait pas eu assez d’argent pour se payer un appartement. C’est tout le contraire qui s’est passé : comme eux, il n’avait pas d’argent, mais lui, contrairement à eux, le plus souvent obligés de faire de l’acrobatie pour obtenir un prêt des banques, il en a trouvé de l’argent, et sans intérêt encore !
À mon avis, le coup porté au PS n’est pas mesurable. Et il n’y a aucune parade à envisager. Michel Charasse, avec qui j’évoque le sujet, ne me contredit pas 7 . Cela ne l’empêche pas de penser que l’opposition, qui va devenir la majorité, va « foutre à la porte des salopards pour les remplacer par des bons à rien » !
Dans les mairies de ces villages et bourgades baptisés de jolis noms comme Yronde et Buron, Issoire ou Parent, quelques dizaines de personnes se sont déplacées pour écouter Jean-Pierre Bacquet, socialiste, médecin local, que Charasse, quoique sénateur du Puy-de-Dôme, est venu soutenir. « Le monde a changé », répète-t-il à ces petites poignées de fidèles. Dans la campagne qui se déroule, dire « Le monde a changé » signifie en réalité, comme Mitterrand l’a déclaré l’autre jour sur France 3 8 , que l’on n’y peut rien, que la crise frappe indifféremment tous les pays, qu’elle n’est ni le fait de lagauche, ni celui de la droite. C’est le thème que reprend Charasse dans les réunions villageoises : les réformes importantes ont été faites – la retraite à soixante ans, le RMI, la Sécurité sociale étendue, la loi sur l’environnement. Pourquoi ces réformes passent-elles inaperçues des Français ? Parce que le problème de l’emploi obscurcit tous les enjeux, brouille toutes les perspectives.
Dérive du système présidentiel, distances prises avec la classe politique : les questions que je lui pose pendant que nous passons d’un bourg à un autre, Charasse les écarte d’un geste. « Les choses ont toujours été ainsi, rien n’a changé sous le soleil de la politique. Il n’y a pas de “monarchisation” du pouvoir, mais, simplement, l’exercice du pouvoir. »
À l’occasion d’une rencontre avec les électeurs, l’inévitable question sur les « affaires » est posée. Réponse du candidat socialiste, approuvé par Charasse : il faut distinguer l’argent recueilli pour les partis politiques et l’enrichissement personnel. « Il faut les séparer, et punir sévèrement ceux qui en ont profité pour s’enrichir. » Il ajoute même : « Il faut être plus sévère avec les socialistes qui ont failli qu’avec les autres ! »
Il n’a pas fini sa phrase que la salle applaudit déjà.
18 mars
Mitterrand a écrit à Jean-Paul Huchon 9 une lettre en réponse à l’envoi de son livre, Jours tranquilles à Matignon . Il l’y félicite chaleureusement pour cet ouvrage qu’il a lu, assure-t-il, avec grand plaisir. Il a ajouté : « Et avec surprise aussi, car, manifestement, nous n’avons pas vécu les mêmes événements. »
19 mars
Je reviens sur le meeting de Conflans-Sainte-Honorine dont Michel Rocard et Pierre Bérégovoy étaient les orateurs, mercredi ou jeudi dernier. J’avais rendez-vous à 17 heures à la permanence parisienne de Michel Rocard. J’arrive, je sonne : Rocard m’ouvre, il écarquille les yeux, comme surpris de me voir là, et prend la fuite, mécontent. Plusieurs minutes passent. Guy Carcassonne vient dans l’entrée me prodiguer quelques bonnes paroles. Puis Rocard part seulavec son chauffeur et son officier de police pour Conflans. Je suis sa voiture à grand-peine à bord de mon Austin, jusqu’à la mairie.
Là, même scénario : il se barricade dans son bureau, sans m’adresser la parole, pendant que je « planque » dans le hall. Au moment où je commence à me poser des questions sur son accueil, il sort de son bureau et vient s’excuser. Il avait un travail urgent à finir, il est désolé. On n’en parle plus. Le temps pour lui de dire quelques mots à la télévision, nous partons pour le meeting où Pierre Bérégovoy le rejoint à la tribune.
Pauvre meeting, sinistre salle où cinq cents
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