Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
déplace les clivages, qui aille au-delà du Parti socialiste, qui marque l’ouverture aux autres composantes de l’univers politique.
L’expression est bien choisie pour marquer sa volonté d’imaginer, au-delà du PS, la création d’un plus vaste rassemblement autour des valeurs de la social-démocratie.
Complémentarité entre François Mitterrand et Michel Rocard, ou au contraire antagonisme ?
Acte de décès du mitterrandisme, plus sûrement, à mon sens. Et de Mitterrand, condamné pour avoir promis « monts et merveilles » et pour n’avoir pas su endiguer le cours des « affaires ». En accentuant ses échecs, en anticipant sa défaite, Michel Rocard aura-t-il hâté, en réalité, la fin d’un Parti socialiste qui ne lui a jamais fait sa place ?
Rocard fait un pari sur l’avenir. Pour moi, c’est évident. Ce big-bang est une rupture, pas une continuité. « Une rupture, dit-il, pour accomplir une renaissance ! »
Tandis que les socialistes s’interrogent tout en minimisant le terme « big-bang » employé par Rocard, l’opposition reste circonspecte. À l’exception de François Léotard qui risque une phrase qui fait mouche : « C’est drôle, dit-il, d’avoir choisi le terme désignant la naissance du monde pour illustrer la mort du socialisme ! »
Question posée à Laurent Fabius : Michel Rocard a-t-il employé cette expression pour donner un coup de main au PS, ou au contraire pour l’écraser ? Fabius, qui assistait au meeting de Montlouis, dit qu’il n’a pas ressenti cette phrase comme un assassinat. « Plutôt comme un coup de main », me dit-il après réflexion. « C’est une rénovation » dit-il encore tandis que Mitterrand, lui, a suggéré à Michel Rocard de rénover ses idées avant de songer à rameuter des troupes.
Fabius n’en doute pas : « Michel s’est déterminé pour 1995. »
19 février
Meeting de Jean-Pierre Chevènement. Petit cinéma de banlieue, décor bleu, blanc et rouge. Il m’a donné rendez-vous au Café de la Gare, dans une arrière-salle sinistre qui change, à n’en pas douter, du restaurant dijonnais Le Cèpe où j’ai dîné la semaine dernière avec Robert Poujade et Jacques Chirac.
La salle est pleine. Je pensais qu’elle risquait de ne pas l’être.
Il est simple, grave, en ces temps qu’il sent difficiles. Il est sans doute d’autant plus chaleureux, ce soir, qu’il sait la partie perdue. « Si c’était à refaire, me dit-il avant le meeting, en évoquant tout ce temps passé tant bien que mal aux côtés de Mitterrand, je le referais. Quelles qu’aient été les déceptions, je n’ai jamais pensé à renoncer. »
Entre les déclarations de Rocard avant-hier et celles de Mitterrand hier, il doit se montrer assez imaginatif pour faire une synthèse. Il s’y efforce pourtant : « Je suis d’accord, dit-il, avec le discours que François Mitterrand et Michel Rocard pourraient tenir ensemble, de façon complémentaire. Je ne suis pas d’accord avec le discours qu’ils tiennent séparément. »
Il n’est pas né celui qui obligera Mitterrand et Rocard à parler d’une même voix !
Lorsque Jean-Pierre Chevènement se tait, Max Gallo prend la parole. Alors que Chevènement s’est gardé de mettre en cause Mitterrand, Max Gallo ne prend pas de gants : son attaque du chef de l’État sous-tend tout son discours, dans une sorte d’antimitterrandisme sournois : il sait qu’il est difficile de faire, devant ce public de gauche qui l’écoute, le procès de Mitterrand sans faire celui de la gauche.
Pas d’enthousiasme dans la salle. Des applaudissements à la fin du discours de Jean-Pierre Chevènement. Quelques-uns, aussi, quand Gallo termine par une citation terrible du philosophe politique Éric Weil 3 :
« L’homme politique est aussi un technicien. Ni la bonne volonté, ni la volonté du bien ne suffiraient à un médecin qui ne guérirait aucun malade. Ce qui compte, c’est le résultat d’une politique. »
On sent l’auditoire désarçonné, perdu entre ces personnalités de la gauche – Rocard, Mitterrand, Chevènement –, tous tenant un discours différent, et tous parlant d’union !
25 février
Jean Lecanuet est mort. Pour moi, il restera une énigme : comment cet homme intelligent, brillant, habile, cultivé, direct, sympathique, beau de surcroît, s’est-il volontairement cantonné, après sa candidature de 1965, dans un rôle secondaire ? Président
Weitere Kostenlose Bücher