Camarades de front
disputes.
– En voiture, le train part !
Lentement, le train traversa Berlin, passa la Spree ; on devina l’Alexanderplatz et la Préfecture de police où des centaines de gens emprisonnés attendaient sans doute la mort. A la gare de Silésie il y avait un monde fou, mais peu de gens montaient ; la queue devant le bureau de l’officier de gare s’accroissait continuellement, une queue de gens bien contents qui avaient réussi à faire timbrer leurs papiers et dont certains avaient poussé l’audace jusqu’à faire attendre leurs familles au-dehors des barrières. Un long sifflement, les haut-parleurs passaient les consignes. Le train du lieutenant continua vers l’est.
Chaque compartiment emportait sa pleine charge d’hommes en route vers les abattoirs qui avaient encore dans le sang les souvenirs de quinze jours merveilleux. Mais d’autres choses les attendaient maintenant : le feu, les blindés, le corps à corps, le sang, les mutilations, la mort… des mots recouvrant une telle somme de terreur et de souffrances que cela passait l’imagination.
Recroquevillé dans un coin, sous son manteau, le lieutenant fermait les yeux pendant que les autres jouaient aux cartes, buvaient ou racontaient de sales histoires grivoises. Le lieutenant Ohlsen pleurait… sans bruit. Il pleurait son fils perdu, son foyer détruit, il pleurait sa solitude… Mais non ! Il n’était pas seul. Là-bas, où allait le train, il y avait ses frères d’armes, ses copains…
Tous, il les revoyait : Alte le rocher, le petit légionnaire, Joseph Porta, Petit-Frère si grand, si bête, et tous les autres…
Le train roulait à travers l’Allemagne.
A cet instant s’achevait, derrière les lignes, la concentration des troupes russes. Tout était prêt pour la plus grande offensive que la guerre eût jamais connue.
Dans un profond cratère de grenade on aurait pu voir Porta, Petit-Frère et un fantassin russe qui jouaient aux dés. Leurs mitraillettes gisaient à côté d’eux. Tous trois avaient été projetés là au cours d’un combat, et dépassés. Petit-Frère gagnait déjà une bouteille de vodka, lorsqu’à sa grande colère le front se réveilla d’un bout à l’autre, et arrêta le jeu.
Deux cent soixante-trois divisions d’infanteries et quatre-vingt cinq divisions blindées montaient à l’attaque.
FIN
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