Carl Justav Jung: Vie et Oeuvre de Carl Gustav Jung (French Edition)
ailleurs son daimon n'est pas maîtrisé: le monde extérieur, en l'occurrence l'école de Bâle où ce "petit paysan" se trouve projeté à onze ans, le fait tomber en syncope. La maladie en soi est de peu d'importance, et voulue autant que subie: dès que le jeune garçon comprend qu'il "faut gagner sa vie" pour vivre, elle disparaît.
La prise de conscience qu'elle amène, en revanche, est significative: "auparavant les choses m'arrivaient, maintenant c'est moi qui voulais". La névrose avait fait état d'une inadaptation, sa disparition met à jour une double personnalité maintenant acceptée: le numéro 1 qui, pour schématiser à l'extrême, est la part active de sa personnalité, et le numéro 2 la part contemplative de celle-ci (en liaison avec le mythe et l'inconscient collectif).
Jusqu'à vingt-cinq ans, toute la vie de Carl Gustav Jung sera maintenant dominée par cet antagonisme. Le numéro 2 cherche d'abord à apaiser sa boulimie de connaissance. La religion est le terrain d'élection familial. L'enfant attend l'événement qui doit le bouleverser: sa communion... Or voici que rien d'espéré n'arrive... Décidément la réalité n'est pas à la hauteur de l'imagination ! Le rêve seul apportera un semblant de solution: une église y volait en éclats sous l'obus foudroyant d'un excrément de Dieu. Encore aurait-il voulu pouvoir en discuter ! Mais sur ce point sa mère, dans laquelle il voit également deux personnalités, l'une aimante et simple aux traits de bonne matrone suisse, et l'autre redoutable, ne peut guère l'aider. Quant à son père, "en matière religieuse il avait horreur de toute pensée parce qu'il était la proie de doutes profonds et déchirants. Il se fuyait lui-même, c'est pourquoi il insistait sur la Foi aveugle qu'il lui fallait atteindre par un effort désespéré et une contraction de tout son être."
Le jeune Jung, toujours son numéro 2, se tourne alors vers la philosophie. Maître Eckkart et son "souffle de vie", le pessimisme d'Arthur Schopenhauer dont l'erreur est mise en lumière par La Raison pure d'Emmanuel Kant, tout cela transforme l'adolescent entre sa seizième et sa dix-neuvième année: "Si j'étais autrefois timide, anxieux, méfiant, blême, maigre et d'une santé apparemment chancelante, je ressentais maintenant un puissant appétit à tous points de vue. Je savais ce que je voulais et m'en emparais. De toute évidence, je devins aussi plus accessible et plus communicatif... Je découvris que la pauvreté n'est pas un désavantage... J'eus des amis plus nombreux et meilleurs qu'autrefois."
C'est alors seulement qu'il put avoir des discussions religieuses avec son père, violentes parce qu'à la foi aveugle de ce dernier, il opposait, tout aussi désespérément, sa volonté de tout comprendre -- surtout la Foi: "Il faut faire l'expérience et savoir".
Triomphe, et pour longtemps, de son côté numéro 1, pragmatique et efficace. En 1895 (tout juste vingt ans) il choisit la médecine "par commodité" -- Bâle est tout prêt et les études ne reviendront pas trop cher -- de plus cette discipline fait partie des sciences de la nature: "après mon premier examen propédeutique, je devins assistant d'anatomie et, le semestre suivant, on me confia le cours d'histologie, à ma grande satisfaction naturellement... Les semestres suivants furent consacrés à la clinique".
La réalité l'emporte enfin sur l'insatisfaction, sur la recherche avide et le repli sur soi (qui, à l'école, venait de son infériorité traumatisante en mathématiques, dessin et gymnastique). Ce choix, consciemment assumé, lui est d'autant plus salutaire que, durant cette période d'apprenti-médecin (1895-1900), il commence à lire les Spirites; il est aussi en bute à des événements extraordinaires (vieille table en noyer qui se fend en plein bois solide, couteau d'acier éclaté en quatre morceaux, sans que personne ne soit à l'origine de ces accidents); et il fait enfin des expériences avec une jeune médium: chaque samedi soir pendant deux ans "nous obtînmes des communications, des coups dans le mur et dans la table".
Son numéro 1 est maintenant assez fort pour ne pas refuser "ces premières connaissances objectives sur l'âme humaine". Et le côté numéro 2 est légitimé par les lectures de Goethe, "mon parrain et mon garant", de Nietzsche (je ne suis pas le seul "être à part"), en même temps qu'il est remis sagement à sa place: "mon côté numéro 2 était mon
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