Carl Justav Jung: Vie et Oeuvre de Carl Gustav Jung (French Edition)
retraite plus sauvage (1922) ce fut sur le rivage du même lac, à même l'eau, qu'il construisit à Bollingen... (Charles Baudoin, L'Oeuvre de Jung ).
Ce lien avec la terre est déjà présent dans l'émerveillement que le bambin de deux-trois ans éprouve devant les arbres, les étoiles, les couleurs -- matière de ses premiers souvenirs. Et si cet enracinement dans une famille, sur une terre, est ensuite ressenti comme vital par l'homme Jung, c'est peut-être pour contrebalancer l'instinct de mort que l'enfant portait déjà en lui.
Cette attitude positive entre "le sens et le non-sens" est un trait que Jung gardera toute sa vie: toujours il lui faudra lutter pour harmoniser monde intérieur et monde extérieur. Pour l'instant, les cadavres -- des noyés généralement -- sont un spectacle à ne pas manquer, de même que les porcs que l'on abat. Sa troisième année le voit chuter du haut d'un escalier et manquer de passer sous le parapet du Rhin: ces actes non aboutis dans lesquels l'analyste verra plus tard une "résistance néfaste à la vie dans ce monde" ne sont pas sans lien avec la séparation momentanée de ses parents, qui pourrait aussi en cette même année 1878 l'avoir affecté physiquement sous forme d'un eczéma généralisé.
Confié alors à une tante et à une gouvernante (qui serait à l'origine de son "archétype de la femme") Jung fait remonter à cette époque sa méfiance dès qu'on prononçait le mot amour. "Le sentiment qu'éveillait toujours en moi le féminin fut spontanément qu'on ne pouvait par nature lui faire confiance. Père signifiait pour moi digne de confiance et... incapable". Comme dans tout déséquilibre, c'est au moment où la névrose se prépare que l'enfant se développe le plus.
À cinq ans il est "initié aux mystères de la terre" par son premier rêve mythologique d'un ogre phallique assis au milieu d'une cave sur un trône d'or. Sa vie religieuse s'en trouve perturbée: pour lui l'ogre ne peut être que le Jésuite entrevu peu auparavant, l'homme noir qui sortait de la forêt et lui avait fait si peur. Voilà qui ne témoigne guère en faveur du "petit Jésus" dont l'invocation n'est déjà plus suffisante pour calmer ses angoisses nocturnes.
C'est un enfant précoce, d'autant plus éveillé qu'il est solitaire, par goût autant que par nécessité: sa soeur Gertrude ne naîtra qu'en 1884 -- il y a là quelque incongruité, soupçonne-t-il, mystère doublé d'une faute. De neuf ans sa cadette elle ne semble pas avoir beaucoup compté dans les problèmes de celui qui dira, à la mort de sa soeur, qu'elle avait "mené une vie qui s'était accomplie intérieurement, hors d'atteinte des jugements et des appréciations d'autrui".
Pour le reste, on peut garder le souvenir d'un enfant qui alimente "son" feu qui doit "toujours" brûler, qui joue avec "sa" pierre et qui cache au grenier son compagnon, un petit bonhomme noir sculpté dans un bout de règle en bois et couché dans un plumier-lit. Sentiment d'éternité -- sentiment de réalité -- sentiment de secret mystique --, rien là de bien particulier pour un gosse qui n'a pas dix ans. Seulement ces trois traits continueront à prédominer chez l'homme mûr: "pour l'homme la question décisive est celle-ci: te réfères-tu ou non à l'infini"; et ailleurs: "la pierre à la fois est et renferme l'insondable mystère de l'être, la quintessence de l'esprit. C'est en cela qu'obscurément je ressentais comme une parenté avec la pierre. Dans les deux, dans la chose morte et dans l'être vivant, gisait la nature divine". Et encore: "Il est important que nous ayons un secret et l'intuition de quelque chose d'inconnaissable."
Et si plus tard l'homme oublie de laisser parler l'enfant en lui, le hasard s'en chargera; la figurine de bois resurgira vingt ans après, à la lecture de certains rites australiens: le lien s'établit, la signification est révélée et avec elle la continuité s'instaure. Le hasard, ou l'illumination: cest par un investissement de tout son être que Jung découvrira "son moi", qu'il choisira la psychiatrie et qu'il "élira" sa femme. Cette sorte de révélation appartient à l'enfance sans âge, comme le jeu rituel qui accompagnera toute sa vie: "à chaque fois que je me sentais bloqué, je peignais ou je sculptais une pierre; et chaque fois c'était un rite d'entrée qui amenait des pensées et des travaux."
Comment ne pas croire dès lors à un fatum, un destin. Pour l'instant ce qu'il appelle
Weitere Kostenlose Bücher