Carl Justav Jung: Vie et Oeuvre de Carl Gustav Jung (French Edition)

chez les névrosés, explique pour Freud la toute-puissance des idées qui domine à la fois dans la religion et dans la magie. Il envisage une libido, tantôt narcissique, tournée vers le sujet, tantôt objectable, investie dans des objets. Il demeure dualiste. Il y a le conscient et l'inconscient. Le principe de plaisir et le principe de réalité. Le Moi et le Ça. L'instinct de vie et l'instinct de mort.
    Chez Jung, au contraire l'énergie psychique est une; il est "moniste".
    Pour Freud, le départ de Jung, à ce moment où tout menaçait de s'écrouler, prenait l'envergure d'une défaite de la Cause. Il avait beau écrire que la psychanalyse trouverait d'autres adeptes, il se sentait profondément affecté par le bris des deux ailes: la droite, celle qu'attirait la métaphysique, avec Jung; la gauche, celle qu'attiraient les questions sociales, avec Adler.
    Comment les querelles prenaient-elles cette intensité et les séparations cette violence dans le milieu en principe le plus lucide, le plus contrôlé ? Certes, ces premiers psychanalystes n'étaient guère ou pas du tout psychanalysés. Par contre, ils "psychanalysaient" leur vie quotidienne. Freud portait à ses disciples des élans peu contrôlés. Ferenczi lui tenait littéralement lieu de fils (il avait un moment espéré l'avoir pour gendre). Jung représentait un disciple privilégié, le symbole de "l'autre monde": celui, que Freud imaginait si différent, des théologiens suisses protestants en rupture de théologie.
    Des analyses didactiques auraient-elles allégé l'atmosphère sans cesse dramatique qui entourait ces pionniers ? A voir les cercles de psychanalystes d'aujourd'hui, on pourrait en douter. Un psychanalyste refuse les inhibitions, le "contrôle social": à partir de ce moment son comportement "libéré" surprend et scandalise dans une société où chacun se contraint pour être admis. L'amour sélectif de Freud pour les uns ou les autres, les susceptibilités, les différences de culture que l'on attribuait aux "races" alors qu'elles étaient visiblement suscitées par les milieux, tout rendait difficiles les accords et tragiques les désaccords.
    Deux guerres et plusieurs révolutions, politiques et technologiques, ont bouleversé le monde depuis la rupture de Freud avec Jung. Tous deux vivront très vieux, auréolés de gloire. Freud demeure le maître incontesté de la psychanalyse dans le monde et le "patron" direct des écoles psychanalytiques françaises les plus hardies, les plus novatrices. Jung a fait souche, principalement d'ailleurs aux Etats-Unis. Leurs disciples continuent à s'affronter. Les Freudiens trouvent "incontrôlables" les vues métaphysiques des Jungiens. Les Jungiens trouvent "étroites" les limites de l'analyse freudienne et accusent leurs vues de "matérialisme sordide du XIXe siècle".
    Le maniement du rêve, du matériel onirique, essentiel dans l'analyse, montre assez bien les deux positions. Pour Freud, le rêve révèle, par fragments travestis, les conflits mal résolus de l'enfance. Jung voit, en plus et surtout, dans le rêve, un bilan de la situation psychique présente du rêveur. Pour lui, parfois, le rêve constitue une réaction à une situation présentement vécue. D'autres fois, il n'est nourri que d'éléments surgis de l'inconscient. Généralement, il comporte les deux. L'analyste jungien, comme l'analyste freudien, traite le rêve, en constituant un alphabet fait d'associations. Ces associations diffèrent selon la biographie de l'analysé. Mais si le rêve est dépourvu d'évocations, d'associations ?
    Freud dit alors qu'il y a "résistance" de l'analysé, que sa conscience opère une "censure". Jung refuse cette notion. Ce fut là un point de divergence fondamental. Jung estime que la "sécheresse idéative et associative" témoigne simplement que ces éléments du rêve n'ont encore jamais été en rapport avec la conscience de l'analysé. Que l'élément provient de l'inconscient collectif. Et nous voici au centre de la discorde.
    Selon Jung, devant le défaut d'association, l'analyste peut procéder à une "amplification". Il peut puiser des "éléments de dépannage" dans les mythes collectifs, les archétypes de l'histoire des mythes, des religions, comme dans l'ethnologie, l'histoire des mythes et religions non-occidentales. Les Freudiens répondent qu'alors l'élément personnel de l'analyste intervient: le "contre-transfert" joue: l'analyste impose ses connaissances ou ses