Cathares
t’attendions avec impatience.
62
Le Bihan avait pris place dans le compartiment du rapide à destination de Nice. Un voyage supplémentaire pour celui qui se sentait de plus en plus dans la peau d’un chasseur de trésor. Treize ans après Rahn, il suivait les mêmes routes que lui et se trouvait confronté aux mêmes embûches. De retour de Cologne, il avait pris la route d’Ussat-les-Bains pour avoir une franche discussion avec une blonde qui cachait bien son jeu. Il avait eu la surprise de trouver porte close au bar-tabac. Renseignements pris auprès de la boulangère, il avait appris que « la Betty », ainsi qu’elle l’appelait, s’était offert des vacances. La commerçante ne savait pas où elle était allée, mais elle avait ajouté, perfide, qu’elle se demandait comment elle pouvait partir en voyage alors que ses affaires étaient loin d’être brillantes. Comme l’historien jetait un nouveau coup d’oeil derrière la vitrine afin de s’assurer qu’il n’avait pas négligé un indice, un passant lui avait demandé s’il cherchait quelque chose. L’homme s’était présenté comme un habitué de l’établissement et lui avait révélé que Betty était descendue à Nice dans un hôtel pour profiter de quelques jours de vacances. Sur le coup, Le Bihan ne s’était pas étonné de recueillir aussi facilement de précieux renseignements. Il avait préféré se rendre sans attendre à la gare pour réserver un billet pour la Côte d’Azur. Après l’avoir remercié, il n’avait plus guère prêté attention au passant qui venait de le croiser sur le trottoir. Celui-ci était allé téléphoner à ses supérieurs qui l’avaient félicité pour son efficacité. Désormais, le temps était compté et il fallait éviter que Le Bihan n’échoue alors qu’il était si près du but. Les paroles d’un traité cathare lui revinrent en mémoire : « Nous disons, nous, qu’il existe un autre monde et d’autres créatures incorruptibles et éternelles dans lesquelles consistent notre joie et notre espérance. »
L’historien avait étudié les trois documents trouvés à Crémone, à León et à Bruges, mais il lui manquait le quatrième. Et sans ce dernier, il ne pouvait comprendre la teneur du message légué par les Cathares. Le Graal, qui avait représenté la quête d’une vie pour Otto Rahn et sur lequel il n’avait jamais pu mettre la main, n’était pas une coupe sacrée tombée de la couronne de Lucifer ni une caisse de pierres précieuses ou une épée d’or. Non, il s’agissait d’un manuscrit sur parchemin qui avait été découpé en quatre bandes étroites et verticales. Pour en comprendre la signification, il suffisait de rassembler les quatre pièces et de les placer en synoptique. Le Bihan observait le paysage changer à mesure qu’il se rapprochait de la cité varoise. Il se dit qu’à trois pièces du puzzle contre une, il avait de bonnes chances de négocier avec Betty. Il se jura que cette fois la comédienne ne lui ferait pas avaler une nouvelle couleuvre.
Le corps de la blonde pouvait aisément rivaliser avec celui des femmes, quinze ans plus jeunes qu’elle, qui se prélassaient autour de la piscine. Quand Le Bihan arriva à l’hôtel, Betty était étendue sur un transat et plongée dans la lecture d’un magazine illustré de cinéma. Elle portait un maillot rouge et ses cheveux n’avaient jamais paru plus longs ou plus blonds. Betty ne prêta pas attention à l’ombre qui venait lui masquer quelques rayons de soleil. Elle se dit qu’il devait encore s’agir de ce serveur aux cheveux noirs et aux yeux verts qui venait à intervalles réguliers lui demander si elle désirait boire quelque chose. Betty sourit : quel bonheur de se faire servir en passant de l’autre côté du comptoir ! Elle avait toujours rêvé de ce genre de vie. Pendant qu’elle continuait à penser aux beaux yeux verts, elle s’étonna de l’ombre qui restait fixée sur elle. Quand on se prélasse en plein soleil, il suffit de peu de chose pour qu’un léger frisson vous traverse. Elle finit par relever la tête et réajuster ses lunettes solaires. Si elle était surprise de voir Le Bihan, planté devant elle comme un large parasol, elle n’en laissa rien paraître.
— Tiens, c’est vous ? fut sa seule réaction.
Le Bihan se dit que cette femme était décidément très étonnante. En fait, le terme « déroutant » lui sembla plus approprié. Il décida de
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