Catherine des grands chemins
hocher la tête d'un air de doute. Et maintenant, il chevauchait tranquillement auprès d'elle, un peu tassé sur sa selle, en homme qui sait la longueur et la monotonie des chevauchées et qui a l'habitude de dormir à cheval. Son chaperon enfoncé sur ses yeux pour les garder des rayons du soleil levant, il se laissait aller au pas balancé du cheval.
Catherine avait repris le costume de garçon qu'elle portait en quittant Angers. Elle aimait s'habiller en homme car elle trouvait dans ces vêtements une plus grande liberté de mouvements en même temps qu'une sorte d'audace. Bien campée sur ses étriers, elle regardait la ville comme si elle la voyait pour la première fois. Elle y avait remporté la victoire qu'elle souhaitait et même une autre, inattendue celle-là, sur elle-même. Au moment de la quitter, Chinon lui devenait subitement chère.
Les bonnes gens commençaient leur journée. Les volets claquaient un peu partout, les boutiques s'ouvraient et les éventaires s'organisaient. Une grosse pluie, la veille, avait lavé de frais les petits pavés ronds. En arrivant au Grand Carroi, Catherine vit, près du puits, une fillette d'une quinzaine d'années qui, assise sur la margelle, arrangeait des bouquets de roses. Elles étaient si fraîches, ces roses...
et elles rappelaient à Catherine un autre bouquet, celui qu'on lui avait jeté, un soir, par la fenêtre de maître Agnelet. Elle arrêta son cheval près de la bouquetière.
— Tes roses sont belles, dit-elle. Vends-moi un bouquet.
La petite tendit aussitôt la plus belle de ses touffes embaumées.
— C'est un sol, gentil seigneur, fit-elle avec un sourire et une révérence.
Mais, aussitôt, elle devint rouge comme une cerise et s'écria, joyeuse : « Oh ! merci, gentil seigneur ! » en recevant la pièce d'or que lui offrait Catherine en échange du bouquet.
Catherine remit son cheval en route, se dirigeant vers le pont fortifié qui enjambait la Vienne. Elle avait enfoui son visage dans les fleurs et, les yeux clos, en respirait le délicieux parfum. Tristan se mit à rire.
Ce sont sans doute les dernières roses que nous verrons avant longtemps. Elles ne poussent guère dans votre pauvre Auvergne. Ici, elles sont chez elles... La Touraine est leur domaine.
— Voilà pourquoi j'ai acheté celles-ci... Elles représentent pour moi ce doux pays de Loire, et quelques souvenirs... des souvenirs qui s'envoleront peut-être quand elles seront fanées.
La troupe armée franchit le pont, saluée par les soldats de garde qui reconnaissaient les armes du Connétable. La rivière passée, on mit les chevaux au galop. Catherine et son escorte disparurent dans un nuage de poussière.
Il était plus de dix heures du soir et il faisait nuit lorsque Catherine, Tristan l'Hermite et leur escorte arrivèrent en vue de Montsalvy à la fin d'un exténuant voyage. Le doux temps d'été avait séché la boue des chemins, mais l'avait transformée en autant de poussière.
Heureusement, il avait aussi rendu possible les nuits à la belle étoile et les longues chevauchées. On avait emporté des vivres en suffisance et les arrêts dans les auberges avaient été rares. La plupart d'ailleurs n'avaient plus grand-chose à offrir.
A mesure que l'on avançait, l'impatience de Catherine semblait grandir en même temps que son humeur s'assombrissait. Elle parlait de moins en moins et chevauchait, des heures entières, les yeux rivés au chemin, droit devant elle, sans prononcer une parole, possédée d'une hâte fébrile. Tristan l'observait à la dérobée sans oser, il est vrai, poser de questions. Elle pressait l'allure autant qu'il était possible, soupirant avec une sorte de rage quand il fallait s'arrêter. Mais les chevaux avaient besoin de répit.
Pourtant, lorsque l'on eut passé Aurillac, cette grande hâte tomba d'un seul coup. Catherine fit ralentir l'allure de plus en plus, comme si elle craignait l'approche de ces montagnes au cœur desquelles respirait toujours Arnaud. Et quand les remparts et les tours de Montsalvy surgirent du haut plateau comme une couronne sombre posée sur la nuit, la jeune femme arrêta son cheval et demeura là un moment contemplant, le cœur soudain serré, ce paysage qui n'avait pas eu le temps de lui devenir familier. Tristan, inquiet, poussa son cheval près d'elle.
— Dame Catherine, qu'avez-vous ?
— Je ne sais pas... Ami Tristan, il me semble que j'ai peur tout à coup...
— Peur de quoi ?
— Je ne sais pas,
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