Catherine des grands chemins
dans l'oreille de Sara, je ne me battrai pas. Je ne sais même pas ce que c'est. Jamais de ma vie je n'ai livré le moindre combat et je n'essayerai pas même si...
Sara saisit sa main et la serra violemment.
— Tais-toi. Pour l'amour du ciel !
— Pourquoi me tairais-je ? À cause de ces femmes. Non, je vais leur dire, au contraire, je vais leur crier que...
— Tais-toi ! répéta Sara, mais si impérieusement que la jeune femme obéit malgré elle. Comprends donc que tu risques ta vie... si elles comprenaient que tu refuses de te battre.
— Et demain, gémit Catherine, est-ce que je ne vais pas la risquer
? Tu le sais bien, toi, que je ne suis pas capable de faire ce qu'on exige de moi. Elle va me tuer, j'en suis sûre.
— Je le sais aussi, mais, pour l'amour de Dieu, calme-toi ! Quand les autres dormiront je me glisserai hors du camp et je courrai jusqu'à l'auberge prévenir messire Tristan. Il saura bien, lui, te sortir de ce mauvais pas. Mais, je t'en conjure, ne montre pas que tu as peur.
Mes frères ne pardonnent pas la lâcheté. Tu serais chassée à coups de fouet, condamnée à mourir de faim.
Les yeux de Catherine s'agrandirent d'horreur. Elle avait l'impression qu'un piège terrible s'était refermé sur elle et qu'avec ses seules forces elle ne parviendrait jamais à s'en délivrer. Sara sentit sa terreur et la serra contre elle.
— Du courage, mon petit. Maître Tristan et moi nous allons te sortir de là.
— Il serait temps qu'il se montre, celui-là, fit Catherine avec rancune, lui qui devait veiller sur moi de si près.
— Il ne devait intervenir qu'en cas de danger, souviens-toi...
Elle regarda autour d'elle. Les deux vieilles dormaient. Seule Tereina veillait, assise près de la lampe à huile, enveloppée dans sa couverture rouge ; elle fixait la flamme avec les yeux égarés d'une somnambule et ne bougeait pas plus qu'une souche.
— C'est le moment, souffla encore Sara. J'y vais.
Elle se coula au-dehors sans faire plus de bruit qu'une couleuvre, et Catherine, le cœur lourd mais confiante en sa vieille amie, alla s'étendre pour essayer de dormir un peu. Mais le sommeil la fuyait. Ses yeux restaient grands ouverts sur les taches du feutre crasseux du chariot tandis qu'elle tentait de calmer les battements désordonnés de son cœur... Le silence l'écrasait et, n'y tenant plus, elle appela doucement:
— Tereina ?
La petite tzigane tourna la tête lentement vers elle puis se coula à son côté.
— Que veux-tu, ma sœur ?
— J'ai besoin de savoir. Dunicha, ma rivale, a-t-elle l'habitude de ce genre de combat ? Avec quoi devons- nous nous battre ?
— Au couteau. Et, malheureusement, ce n'est pas la première fois pour Dunicha. On dirait un chat-tigre quand elle se bat. Deux femmes qui plaisaient à Fero sont déjà tombées sous ses coups.
Cette révélation fit couler un désagréable filet glacé le long du dos de Catherine, furieuse de s'être jetée dans cette impasse. Si Tristan n'intervenait pas, elle serait proprement égorgée par la Tzigane sans que personne fît un geste pour la défendre. Fero lui-même, qui cependant paraissait si éperdument amoureux, n'avait pas levé le petit doigt pour interdire cette folie. Il s'était plié, respectueusement, à la loi des siens. Et, sans doute, songeait Catherine avec un sentiment de révolte, il se consolerait le soir même, avec la victorieuse Dunicha, de la mort de la malheureuse Tchalaï.
— Tout ce que je pourrai faire pour toi, continua Tereina d'un ton désolé, ce sera te donner une drogue qui décuplera ton courage et ta force. Maintenant, il faut te reposer.
Catherine, dans l'ombre, fit la grimace. Elle était un peu dégoûtée de la pharmacopée tzigane et, de plus, n'avait pas la moindre envie de dormir. La seule chose qu'elle eût envie de faire, c'était fuir, fuir au plus vite, fuir à toutes jambes ces gens sanguinaires auxquels elle s'était si imprudemment mêlée. Elle s'était enfoncée jusqu'au cou dans un panier de vipères et ne savait plus comment en sortir. Elle étouffait dans ce chariot et la respiration régulière des femmes qui dormaient lui donnait envie de hurler.
Elle songea alors que sa vie était trop précieuse aux conjurés d'Angers, donc à Tristan l'Hermite, pour que ce dernier la laissât égorger si bêtement.
Malgré les pensées rassurantes qu'elle s'efforçait de cultiver, Catherine ne ferma pas l'œil de la nuit. La gorge sèche, les tempes bourdonnantes, elle
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