Catherine et le temps d'aimer
formons qu'un seul être, une seule et même chair ! Je souffre de ses douleurs et si l'on me coupait en morceaux, chacun de ces morceaux proclamerait encore que j'aime Arnaud... Mais, ni Ermengarde ni le duc ne peuvent comprendre ce genre de sentiment !
— Croyez-vous ? Dame Ermengarde, c'est possible. Elle est uniquement maternelle et elle vous aime comme sa propre fille. Ce qui vous tourmente, c'est qu'elle porte au duc Philippe un sentiment analogue. Elle ne lui a jamais ménagé les critiques et les pires vérités, mais elle l'aime comme une mère, et son cœur est meurtri d'être désormais proscrite parce que son fils a pris les armes contre Philippe.
Elle a pensé lui faire plaisir en lui parlant de vous. Une manière comme une autre de lui prouver qu'elle lui garde une tendresse !...
Quant à lui...
Un mouvement de colère raidit Catherine. Levant bien haut sa tête blonde, elle coupa :
— Qui vous permet de croire que j'aie quelque envie d'en entendre parler ?
Van Eyck négligea l'interruption. Il détourna les yeux, s'éloigna de quelques pas et, sourdement :
— Votre fuite l'a déchiré, Catherine... et je sais qu'il en saigne encore ! Non, coupa-t-il à son tour, ne dites plus rien puisque je ne puis rien ajouter. Oubliez tout ce qui vous tourmente et ne pensez qu'à une chose : je ne suis que votre ami et c'est à ce titre que je vous suivrai demain. Ne voyez rien de plus ! Je vous souhaite une bonne nuit, belle Catherine !
Et, avant que la jeune femme ait pu esquisser un geste pour le retenir, il ouvrit la porte et disparut.
Depuis les remparts à demi démantelés de Saint-Jean Pied-de-Port, l'antique voie romaine grimpait sans arrêt, durant huit bons milles, jusqu'au col de Bentarté. Le chemin était étroit, difficile, rendu glissant par les fragments d'anciennes dalles qui l'émaillaient encore et sur lesquels le froid des hauteurs mettait de minces couches de glace.
Il était rude aussi et montait roidement à travers un paysage qui devenait de plus en plus aride, jusqu'à sembler se perdre dans le ciel même. Mais Catherine et ses compagnons, sur le conseil du viguier de Saint-Jean, l'avaient préféré à celui, pourtant plus facile, du Val Carlos, pour éviter d'avoir à livrer bataille. Un seigneur-pillard, Vivien d'Aigremont, tenait la route de la vallée avec ses bandes sauvages de Basques et de Navarrais. Certes, les soldats de Bourgogne qui escortaient la dame de Châteauvillain, joints à ceux qui protégeaient Jean Van Eyck, étaient vigoureux, bien armés et pouvaient assurer le passage des voyageurs sans trop de périls. Mais ce que l'on avait entendu dire de la brutalité aveugle et de la sauvagerie primitive des hommes de Vivien d'Aigremont en faisait des ennemis non négligeables, fort supérieurs en nombre de surcroît.
Mieux valait prendre la route d'en haut.
A mesure que l'on montait, le froid se faisait plus vif. Un vent aigre soufflait continuellement sur les contreforts des Pyrénées, chassant et ramenant, tour à tour, de longues écharpes de brouillard glacé qui cachaient parfois jusqu'aux plus proches rochers. Depuis le départ, à l'aube, personne ne parlait. Il fallait faire attention à l'endroit où l'on marchait car on avait dû mettre pied à terre et mener les chevaux par la bride, sous peine de chute. Et la longue file silencieuse qui s'étirait au flanc de la montagne, dans la lumière trouble et grise, avait l'air d'une théorie de fantômes. Même les armes, chargées d'humidité, étaient devenues ternes. Derrière elle, Catherine entendit maugréer Ermengarde qui avançait péniblement, soutenue par Gillette de Vauchelles et Margot la Déroule.
— Fichu temps et fichu pays ! Ne pouvions-nous prendre, comme l'empereur Charlemagne, la route d'en bas ? Les brigands me semblent moins redoutables que ce chemin tout juste bon pour les chèvres ! A mon âge, galoper dans les rochers comme une vieille bique ! Si cela a du sens !...
La jeune femme ne put s'empêcher de sourire. Se détournant à demi, elle lança :
— Allons, Ermengarde, ne grognez pas ! C'est vous qui l'avez voulu !
Elle n'avait pas soufflé mot à la vieille dame de sa conversation avec Van Eyck ! À quoi bon ? Ermengarde n'aurait pas compris que Catherine considérait son geste comme une manière de trahison. Elle avait cru, en toute bonne foi, agir pour le mieux et pour le plus grand bien de Catherine. Et, après tout, le peintre et sa solide escorte armée étaient une
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