Catherine et le temps d'aimer
puis posaient un manteau sur ses épaules frissonnantes.
— Venez, Catherine, fit la voix ferme de Jean Van Eyck. Ne restez pas là ! Vous allez attraper la mort !
Elle le regarda d'un air égaré.
— La mort ?... Mais, Jean, je suis morte !... On m'a tuée !
— Ne dites pas de sottises ! Venez !
Il l'obligea à sortir, mais, parvenue sous la vieille voûte qu'éclairait une torche fichée dans le mur, elle s'arracha des mains qui la soutenaient, s'adossa contre la muraille. Le vent qui s'engouffrait dans le passage fit voler ses cheveux, mais son souffle violent lui fit du bien.
— Laissez-moi, Jean, je... j'ai besoin de respirer !...
— Respirez ! Mais écoutez-moi !... Catherine, je devine ce que vous souffrez, mais je vous défends de dire que vous êtes morte, que votre vie est finie ! Tous les hommes n'oublient pas si aisément. Il en est qui savent aimer plus que vous ne pouvez le croire.
— Si Arnaud a pu m'oublier, qui donc saura rester constant ?
Sans répondre, le peintre délaça le col de son pourpoint, tira de sa poitrine un parchemin plié, scellé, qu'il tendit à la jeune femme :
— Tenez ! Lisez... Je crois que l'heure est venue d'accomplir ma mission ! Lisez ! Cette torche éclaire suffisamment... Allons, lisez ! Il le faut ! Vous en avez besoin...
Il glissa le parchemin entre les doigts glacés de la jeune femme. Un moment, elle le tourna et le retourna... Il était scellé d'une cire noire où s'imprimait une simple fleur de lys.
— Ouvrez ! souffla Jean.
Elle obéit, presque machinalement, se pencha pour déchiffrer les quelques mots du message, très court en vérité. Comme une enfant, elle les épela :
Le regret de toi ne me laisse ni trêve ni repos. Reviens, mon doux amour, et c 'est moi qui demanderai pardon !... PHILIPPE...
Catherine releva la tête, rencontra le regard anxieux du peintre.
D'une voix basse, ardemment persuasive, il murmura :
— Celui-là n'a pas oublié, Catherine... Vous l'avez abandonné, bafoué, insulté ! Pourtant il ne songe, lui, qu'à vous aimer ! Lorsque l'on connaît son orgueil insensé, on comprend tout le prix de cette lettre, n'est-ce pas ? Revenez avec moi, Catherine ! laissez-moi vous ramener à lui. Il a tant d'amour à vous donner qu'il vous fera oublier toutes vos douleurs ! De nouveau, vous serez reine... et plus encore !
Venez.
Il cherchait à l'entraîner, mais elle résista. Doucement, elle hocha la tête :
— Non, Jean ! Je serai reine, dites-vous, et plus encore ? Oubliez-vous la duchesse ?
— Monseigneur n'a d'amour que pour vous. La duchesse, en lui donnant un fils, a fait son devoir. Il ne lui en demande pas plus.
— Mon orgueil en demanderait davantage ! Quels que soient les torts de messire Arnaud, je porte toujours son nom et ne puis traîner ce nom, comme un captif, à la cour de l'ennemi.
— Vous êtes éloignée de la politique depuis longtemps. Tout s'arrange, Catherine. Bientôt, le roi Charles VII et le duc Philippe feront la paix, cela ne fait de doute pour personne !
— Peut-être ! Mais j'ai un fils. Je dois l'élever comme le veut son rang. Il ne verra pas sa mère reconnue comme maîtresse du duc Philippe ! Je ne lui infligerai pas ce déshonneur doré !
— Vous êtes encore sous le coup du choc reçu. Allez dormir un peu, Catherine. Demain, le jour venu, vous verrez plus clair en vous.
Et vous comprendrez que vous vous devez, à vous-même, de vivre enfin le destin brillant que vous avez rejeté. Vous aurez des terres indépendantes, une principauté ! Votre fils sera plus puissant que vous ne l'avez jamais rêvé... Écoutez-moi ! Croyez- moi ! Le duc vous aime plus que jamais !...
La jeune femme appliqua ses deux mains sur ses oreilles, secouant douloureusement la tête.
— Taisez-vous, Jean ! Pour ce soir, je ne veux plus rien entendre !
Je vais rentrer... dormir un peu, si je puis y parvenir. Pardonnez-moi...
Vous ne pouvez pas comprendre.
Repoussant la main qui se tendait de nouveau, elle regagna la grande salle. Elle était à demi plongée dans l'obscurité. Seules, les braises du feu mourant éclairaient les corps étendus un peu partout, là où le sommeil avait surpris les voyageurs. Catherine vit Josse, roulé en boule comme un chat, dormant près de la cheminée... Seule, Ermengarde, assise un peu plus loin, veillait encore...
Elle se leva en voyant apparaître Catherine, mais la jeune femme lui fit signe de ne pas bouger. Elle ne voulait pas se mêler à tous ces gens.
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