Ce jour-là
P RÉFACE DE P HILIPPE L EGORJUS
EX - COMMANDANT DU GIGN
Novembre 1986. Camp militaire de Fort Bragg, Caroline du Nord.
Une pluie glaciale tombe en cette fin d’après-midi et j’ai un pincement au cœur en parcourant Normandy Drive, au cœur de l’immense camp. Ayant vécu toute mon enfance dans les dunes et sur les plages qui ont accueilli en juin 1944 les troupes alliées venues libérer le territoire national, je passe avec émotion devant les casernements. Ils abritent certaines des unités qui furent au cœur des combats. Je repense à la 82 nd Airborne Division, parachutée aux premières heures du Débarquement pour conquérir le village de Sainte-Mère-Eglise.
Fort Bragg est un lieu mythique qui héberge la fameuse Delta Force et le JSOC (Joint Spécial Opérations Command). Le JSOC a été créé en octobre 1980 à la suite de l’opération Eagle Claw. Cinquante-trois otages ont été enfermés dans l’ambassade des États-Unis à Téhéran. L’opération, décidée par le président Jimmy Carter, devait se dérouler sur deux nuits en utilisant trois bases créées pour l’occasion. Mais une suite d’incidents a conduit le colonel Beckwith, fondateur et commandant de la Delta Force, à annuler l’opération. En effet, trois des huit hélicoptères d’assaut tombèrent en panne, il y eut l’arrivée impromptue d’un bus rempli de civils sur le premier site de regroupement et de violentes tempêtes de sable. Un hélicoptère, en décollant de la base Desert One a heurté un avion C-130 Hercules, provoquant la mort de huit hommes et l’abandon sur place de documents ultrasensibles classés confidentiels. Cette opération a pris fin dans un coin désertique d’Iran, abandonnant les cinquante-trois otages retenus à Téhéran.
Le gouvernement américain décide alors de réorganiser ses forces spéciales et de créer des unités à même de gérer des missions particulières en dehors du sol américain. Ces unités spéciales seraient rigoureusement sélectionnées et subiraient un entraînement spécial. Elles deviendraient le fer de lance de la lutte contre le terrorisme. Ses membres auraient plus d’autonomie, connaîtraient le terrain. Le JSOC est créé. Depuis 1980, il coordonne l’ensemble des unités des forces spéciales des différentes branches de l’armée américaine. Il intègre les forces de terre, de l’air et de mer et les unités de renseignement sous un commandement unifié : la Navy avec les SEAL, la Delta Force (armée de terre) et l’aviation avec la 24 th Spécial Tactics Squadron (hélicos) et la Joint Aviation Unit (aéronefs).
Je suis à la tête du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) depuis dix-huit mois lorsque je me rends à Fort Bragg pour effectuer un stage passionnant. J’y découvre que les techniques les plus en pointe ne sont pas si éloignées des nôtres : largage de personnels à très haute altitude, assaut de bateaux par tous les moyens, par les airs (parachute), par la mer (bateaux rapides) et grâce à la nage de combat… L’après-midi, à Virginia Beach, on nous montre un nouveau type de lance-grappin capable de faire passer en un temps record une équipe de SEAL ou du GIGN de la surface de l’eau au pont d’un navire.
J’échange avec mes homologues de la SEAL Team Six, la célèbre unité que Mark Owen intégrera quelques années plus tard.
Je suis très intéressé par le savoir-faire technique des unités visitées. Mais plus encore par deux points qui retiennent mon attention. Après un échec aussi traumatisant que la mission Eagle Claw, est-il possible de modifier profondément les modes de commandement et de communication à l’œuvre dans ce type d’opérations ? Et, d’autre part, comment développer une conception radicalement novatrice au sein même des forces dédiées à ces interventions si délicates et si particulières ?
À l’époque, l’exemple de référence pour les forces spéciales qui interviennent lors de prises d’otage est celui des Jeux olympiques de Munich. Il apparaissait évident qu’une unité de police, même spécialisée, ne pouvait à elle seule, et malgré le courage de ses membres, répondre efficacement à la situation. Eagle Claw avait démontré de son côté qu’une opération militaire complexe avec un commandement dispersé ne pouvait pas être efficace non plus. Malgré, encore une fois, la qualité extrême des personnels engagés. Mais trop d’imprévus
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