Ce jour-là
précède : des ordres clairs, un entraînement intensif et, plus encore, une autonomie de décision qui laisse à un individu ou une équipe la capacité de choisir sur le terrain une variante du mode d’intervention, sans mettre en péril l’objectif final.
Et lorsque volonté politique et savoir-faire des états-majors se combinent, il est formidable de constater que rien ne manque matériellement aux membres des unités. S’il faut loger quatre fois la même arme ou un équipement spécifique dans quatre sacs d’intervention, il suffit de le demander au magasinier. Si, pour rendre plus efficace son arme individuelle, il est souhaitable de la modifier, pas de problème non plus… Je revois, à travers les souvenirs de Mark, l’œil émerveillé de nos jeunes gendarmes, terminant leur stage de formation de neuf mois, et pénétrant dans la caverne d’Ali Baba. Une fois le GIGN intégré, ils découvraient avec surprise un « chef magasinier », soudain plus ouvert, répondant sans réserve à tout ce qu’il leur refusait quelques jours plus tôt.
Mark Owen a passé plus de dix ans à vivre « à fond » la première partie de sa vie d’adulte. Il a su aussi « décrocher à temps ». Je partage fraternellement avec lui plusieurs des raisons qui l’ont animé au moment de prendre cette décision. Je pense à l’intensité de la mission qui l’a conduit à diriger l’une des équipes d’intervention à Abbottabad. Même si l’opération Victor à Ouvéa n’a pas été ma mission la plus délicate, techniquement du moins, elle a, après huit ans de présence dans une unité d’intervention, servi de déclencheur à ma décision de quitter, quinze mois plus tard, cet univers.
En prenant des responsabilités dans son unité, Mark a pu également approcher l’une des problématiques constantes des responsables des formations : l’extrême inconstance des choix politiques, lesquels peuvent amener à changer radicalement les processus opérationnels sur le terrain, et compromettre l’équilibre des unités.
Je pense aussi à la fatigue morale et physique, au stress accumulé par la répétition des missions, même s’il est toujours canalisé. Paradoxalement, pour se préserver moralement et conserver au plus haut l’idéal auquel ils aspirent, des militaires de très grande qualité préfèrent raccourcir leurs carrières, théoriquement prometteuses, et ne pas courir le risque de la frustration ou, pire, du service imparfaitement accompli.
En 1990, alors que je venais de quitter le GIGN, j’écrivais, en prologue au livre La Morale et l’Action , les mots suivants :
« Adolescent, je rêvais comme les autres de changer le monde. Adulte, j’ai cherché à mettre mes aspirations personnelles les plus profondes face au monde de l’action. À l’absolu des valeurs, j’ai confronté le relatif des détresses humaines devant lesquelles je me retrouvais, des violences auxquelles mon métier était de mettre fin par tous les moyens – y compris la violence elle-même. »
Il y a une vie après… et les jours faciles ne sont pas toujours ceux d’hier. On le comprend bien plus tard. Mark Owen a en lui toutes les clefs pour le découvrir.
Nantes, le 22 septembre 2012.
N OTE DE L ’ AUTEUR
Quand j’étais au lycée, en Alaska, on nous avait demandé de faire un compte rendu de lecture sur le livre de notre choix. J’étais allé à la bibliothèque, et j’étais tombé sur Men in Green Faces , de l’ex-SEAL (1) Gene Wentz. C’était une chronique des missions qu’il avait accomplies au Vietnam, dans le delta du Mékong. Le récit, plein d’embuscades et de fusillades, tournait autour de la poursuite d’un colonel nord-vietnamien devenu fou.
Dès la première page, j’ai su que je voulais devenir un SEAL moi aussi. Et plus j’avançais dans ma lecture, plus j’avais envie de savoir si je serais de taille.
Sur les plages du Pacifique, pendant ma formation, j’ai découvert d’autres hommes comme moi : des hommes qui redoutaient l’échec et voulaient toujours se surpasser. J’avais le privilège de servir tous les jours avec eux et d’être inspiré par leur exemple. Travailler auprès d’eux a fait de moi quelqu’un de meilleur.
Après treize déploiements consécutifs au combat sur le terrain, ma guerre est terminée. Ce livre referme ce chapitre de ma vie. Mais avant de le conclure, je voudrais expliquer ce qui nous motivait à accepter le brutal
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