Céline secret
aime,
toutes les deux, se baigner en plein hiver dans une eau glacée qui fait mal,
nager dans des vagues longues qui coulent et écorchent, puis remonter aussitôt
s’assoupir dans la chaleur du sauna. On aime le matin, quand un petit soleil
doux s’allume sur la mer, prendre un café face au grand large.
J’ai fini par décider Céline à quitter Paris, et Louis et
moi sommes partis à la mi-juin 1944.
Longtemps auparavant quand nous habitions encore chez sa
mère rue Marsollier, j’avais fait un rêve qui me semblait prémonitoire :
nous étions au Moulin de la Galette et, en haut d’une allée, il y avait des
hommes que des soldats étaient en train d’exécuter à la mitraillette. Le
dernier de la rangée était Louis et quand son tour est arrivé, il avait
disparu.
Il pensait s’absenter quelques mois à peine et nous avons
tout laissé en attente. Il avait confié les clés au concierge. Nous voulions
nous rendre au Danemark où résidait Karen, une amie de Louis chez qui il avait
caché des lingots d’or. Arrivés à Baden-Baden, nous avons retrouvé Le Vigan
avec qui nous avons gagné Berlin. Là, nous avons compris que nous ne pourrions
jamais rejoindre le Danemark. L’Allemagne était en feu, tout le monde s’agitant
comme des rats dans un gruyère à la recherche du moindre trou pour sortir.
A Berlin, nous rampions sous terre avec Bébert. Il n’y avait
plus une seule maison debout. C’était une ambiance de fin du monde et de feux
follets. On voyait des sentinelles partout et on crevait de faim.
Un jour des Allemands se sont mis à chanter et à boire, ils
fêtaient l’assassinat de Hitler. Le lendemain, ils étaient fusillés.
Nous avons été nous réfugier à New Ruppin, près de
Krantzlin. C’est ce que Louis raconte dans Nord. Malheureusement, il
n’avait pas pris la précaution de changer l’identité réelle des personnages, ce
qui m’a valu, après sa mort, un long procès qui s’est terminé par une
transaction lorsque nous avons accepté de modifier les noms.
Au mois d’octobre, avec Le Vigan et Bébert, Louis et moi,
nous sommes arrivés à Sigmaringen. C’était la dernière chose à faire et on l’a
faite. C’était le seul trou possible pour sortir de l’Allemagne, c’est tout.
C’est faux, nous ne sommes pas partis avec la milice. Quand on a le nez dans
l’histoire, on ne voit rien. Tout est reconstruit et c’est l’histoire des
vainqueurs qu’on raconte.
Du mois d’octobre au mois de mars 1945, nous sommes restés à
Sigmaringen, au pied d’un château d’opérette d’où tous sont sortis pour être
fusillés – Laval, Brinon, Luchaire. Pétain, lui, a été gracié, mais il est mort
enfermé, ce qui est peut-être pire.
Nous avons vécu là une vie hallucinatoire, dans une sorte de
cauchemar éveillé, au milieu d’un monde qui s’était trompé et qui allait être
englouti.
Louis était médecin, il soignait. Moi, je dansais. Je
m’étais aménagé un endroit dans une des immenses salles à miroir du bas et je
m’entraînais tous les jours. Je marchais aussi beaucoup et rencontrais parfois
Pétain qui me faisait un petit signe de la main, et venait même caresser
Bébert. Son médecin personnel voulait s’enfuir en Suisse et il m’avait demandé
de lui promettre que Louis le soignerait après son départ. Je n’ai rien pu
affirmer.
Avec le docteur Jacquat, Céline était l’unique médecin pour
1142 condamnés à mort et j’étais seule à lui servir d’infirmière, dans un
cabinet de fortune installé dans l’hôtel où nous logions.
L’ambiance était désolée.
Début mars 1945, nous avons enfin obtenu un laissez-passer
et nous nous sommes mis en route pour le Danemark, sans Le Vigan mais avec le
chat Bébert qui n’avait pas voulu nous quitter et s’était échappé de chez
l’épicier à qui nous l’avions confié.
Pour Louis, le Danemark, c’était un souvenir ancien.
Il y avait la mer du Nord et l’impression de vivre là-bas
dans les bateaux.
C’était un songe, un mirage.
Le voyage pour y parvenir a été une hallucination, un
cauchemar dans la guerre et le feu.
Nous embarquions sur des bouts de train qui semblaient
vouloir nous conduire ailleurs et qui, soudain, stoppaient pour repartir on ne
savait où et peut-être nulle part.
Les locomotives marchaient au charbon de bois et dans la
nuit nous avancions, tels des trains fantômes, en lançant des étincelles.
Souvent un bombardement nous forçait à
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