Céline secret
il a rédigé la
préface.
Avec la médecine, Céline se sentait au cœur des choses, au
centre de la vie, dans l’essentiel.
Face à un enfant qui meurt, plus rien n’a d’importance, la
littérature comme le reste.
Tout paraît dérisoire.
CHAPITRE VIII.
À DIEPPE LE MAILLOT IMPROVISÉ. L’EXIL À KORSOR.
Dieppe en plein mois de juillet, pour la première fois.
Partout la foule et les odeurs de frites et de barbe à
papa.
« La foire à Neuneu » dit Lucette.
Nous sortons, nous voulons marcher.
Elle part sans son maillot de bain. Il y a trop de
monde sur la plage.
Et puis soudain, l’envie de nager qui la prend,
insupportable.
Elle dit : « Va dans l’eau, ne t’occupe pas de moi. »
L’espace d’un instant et je la vois qui arrive.
Avec deux écharpes, elle a improvisé un costume de
bain : l’une nouée en soutien-gorge, l’autre en slip.
Tout le monde regarde, médusé.
Le désir de la mer est plus fort que tout.
A notre arrivée au Danemark nous étions logés chez Karen,
mais, après l’arrestation de Louis, elle m’a vite mise dehors. Bébert avait
saccagé son appartement en faisant ses griffes sur tous les fauteuils,
arrachant les rideaux et les tentures, cassant même des bibelots en porcelaine.
Je me souviens que Louis me disait : « Laisse, ça
n’a pas d’importance. »
Mais Karen est rentrée et j’ai dû lui restituer son
logement.
J’ai alors fait un échange avec un gardien de prison dont
j’ai occupé le studio et qui est allé vivre chez ma mère à Menton.
Quand Céline est sorti de prison, il est venu me retrouver
dans ce petit studio qui donnait sur un parc.
C’était très mal isolé, l’hiver on y gelait mais l’été,
quand Louis est arrivé, la chaleur nous étouffait. Nous sommes restés là tout
l’hiver 47-48 et puis nous avons encore dû rendre la place, ma mère s’étant
disputée avec ses locataires.
C’est alors que l’avocat de Céline, Mikkelssen, nous a
proposé au mois de mai de nous loger ; d’abord chez lui près du port de
Korsør, puis dans une petite maison d’hôtes juste à côté et enfin, au mois de
juillet et pour trois ans, dans une cabane au bord de la Baltique, sans eau
courante et ne disposant que d’un réchaud et d’un poêle à tourbe.
Au Danemark nous avons dû déménager sans cesse, préparer nos
paquets et nous installer ailleurs, un peu à la manière de domestiques. Tous
les jours, je m’entraînais physiquement, faisais de la corde à sauter et me
baignais dans la Baltique, mer grise, sans marée et sans sel, que Louis a tout
de suite détestée. Le matin il cassait la glace pour que je puisse m’immerger,
puis il me mettait des bouillottes d’eau chaude sur les pieds.
Il écrivait sans cesse pour garder un contact avec son pays.
Vivre loin de la France lui était insupportable et écouter parler français à la
radio le faisait pleurer.
Il correspondait avec Gen Paul, Le Vigan, l’actrice Marie
Bell, et tous lui envoyaient un parfum de Paris différent qui l’aidait à vivre.
Il travaillait aussi sans relâche à sa défense auprès de ses
avocats français, écrivant et réécrivant une plaidoirie qui ne changeait jamais
et qui le maintenait dans un état douloureux de victime incomprise.
Il s’occupait également de relancer la publication de ses
livres.
En automne 1947, Louis avait fait la rencontre de François
Löchen, pasteur de l’Eglise réformée de Copenhague. Tous les deux avaient
exercé leur métier dans la même banlieue parisienne, Sartrouville, Bezons. Ils
avaient fréquenté les mêmes lieux, connu les mêmes personnes.
C’est le pasteur Löchen qui apprendra à Louis la mort d’une
de ses anciennes infirmières qu’il avait assistée à ses derniers moments. Ce
passé commun les liait par-delà les mots. Céline allait le voir le dimanche à
la fin du culte, et nous nous recevions quelquefois en couples.
Par la suite, le pasteur et Louis échangeront une
correspondance intime où les préoccupations mystiques de Céline
transparaîtront.
François Löchen est toujours vivant aujourd’hui. Il habite
Metz dans une maison de retraite. Récemment, j’ai eu l’occasion d’aller le voir
mais je n’en ai pas eu le courage. J’ai pensé qu’il devait être sinistre de
retrouver un vieillard quand on a quitté un homme jeune.
C’est au début de notre séjour à Korsør que nous avons reçu
la visite de l’universitaire américain Milton
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