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Céline secret

Céline secret

Titel: Céline secret Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Véronique Robert
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dans un pays étranger dont je ne comprenais pas la langue.
Louis m’avait interdit de prononcer un seul mot en danois, ne serait-ce que
pain, broad. Son amour du français ne supportait aucun compromis.
    Trois fois j’ai voulu mourir, trois fois j’ai pris des
comprimés en trop grosse quantité, trois fois j’ai échoué.
    Au tout début, nous communiquions clandestinement par des
petits mots griffonnés sur des feuilles de papier cabinet. Après, nous avons pu
nous écrire par l’intermédiaire de l’avocat de Louis, Mikkelssen.
    Quand je relis ces lettres aujourd’hui, elles me semblent
très loin de la réalité. C’était atroce et normal à la fois. Je ne mangeais
plus, je m’évanouissais sans cesse, je crachais du sang.
    Quand j’allais voir Louis, j’amenais toujours Bébert et sa
petite bouille-papillon, caché dans un sac. Il ne bougeait pas et puis juste au
dernier moment, il tendait une patte.
    Bébert nous a sauvé la vie. C’était comme si nous vivions la
descente aux Enfers de Dante.
    Dans ma chambre, dans la soupente, toute seule je me serais
laissée mourir. Je n’aurais pas, réalimentant sans cesse mon poêle à bois, mis
tout en route pour faire de la chaleur si je n’avais pas voulu que mon chat
vive. Il nous faisait un petit foyer, un cœur qui bat.
    Je sais que, pour certains, c’est étonnant que Céline mette
Bébert sur le même plan que moi.
    Ça ne pouvait pas être autrement, il était un personnage à
part entière.
    En prison, ils torturaient Louis moralement : la
torture par l’espérance. Plusieurs fois on lui avait fait croire qu’il était
libéré. On l’habillait, le mettait dans une fourgonnette et au dernier moment,
on le ramenait en prison : c’était inhumain.
    On lui disait aussi : « C’est aujourd’hui que tu
vas être fusillé. »
    Il a souffert le martyre. Il avait tous les matins, à cause
de ses amibes, besoin de lavements chauds qu’il ne pouvait prendre. Il a perdu
vingt kilos et, à plusieurs reprises, a dû être admis à l’hôpital de la prison.
J’allais le voir en salle commune. Quand un patient mourait derrière son
paravent, il agitait une petite sonnette pour qu’on vienne emporter le mort. Il
guettait le souffle.
    Je lui tricotais des chaussettes et des gants en cachette
car, bien sûr, jamais Louis ne l’aurait accepté. Il a toujours refusé que je
fasse la cuisine ou le ménage. A Meudon, on mangeait les ragoûts infects qu’il
confectionnait. Quant au ménage, à Marcel Aymé qui lui disait, il faut bien que
quelqu’un le fasse, il répondait : « Oui, ta femme, pas la
mienne. »
    C’est au moment de Noël que notre vie a basculé. Chaque
année depuis, je revis à la même période cette atrocité. A Noël, chaque année
je suis malade.
    Céline est resté en prison du 17 décembre 46 au 24 juin 47.
A la fin, tout traînait tellement que j’ai été voir le ministre de la Justice
qui a consulté son dossier et vu que le seul motif d’inculpation était
l’ouvrage les Beaux Draps, écrit en 39 et paru en 40. Il a passé la nuit
à le lire, le lendemain il téléphonait : « Il n’y a rien dans le
dossier. » Et une heure après, une limousine était devant ma porte avec
Louis dedans.
    Pour l’accueillir j’avais acheté un magnifique magnolia avec
de très belles fleurs blanches.
    Quand il est arrivé, toutes les fleurs étaient tombées, il
ne restait plus que le bois.
    Quand on a fait de la prison, on est à jamais séparé des
autres, c’est comme si on était devenu un fantôme.
    En deux ans ce n’était plus le même homme, il était devenu
vieux. Il marchait avec une canne, avait tous les jours des malaises en plus de
ses crises habituelles de paludisme.
    La première guerre en avait fait la moitié d’un homme, plus
qu’une oreille, un seul bras et une tête en ébullition. La prison l’a achevé.
Elle a fait de lui un mort vivant. A Meudon, pendant les dix ans qui ont
précédé sa mort, il n’était déjà plus là.
    A partir d’un certain seuil de souffrance, le flan des mots
tombe, il n’y a plus rien à dire.
    De la même façon, les vrais pauvres ne se plaignent jamais,
ne demandent rien, ils se cachent.
    A Bezons, Louis connaissait un bibliothécaire qui refusait
de se déshabiller pour être examiné. Son pantalon tenait avec des ficelles, sa
chemise n’avait pas de col, il vivait dans un état d’extrême dénuement. Pour
l’aider Louis lui a fait écrire un livre sur Bezons dont

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