C'était de Gaulle - Tome II
rien.
GdG. — Il est possible que la fin du Marché commun, ce soit justement la fin de ce mythe. Ce serait heureux: il a été forgé par les fumistes qui ont voulu faire croire à l'Europe supranationale.
AP. — La fin du Marché commun et du traité franco-allemand, ce serait un bouleversement de la vie internationale.
GdG. — Nous avons voulu faire une politique d'entente avec les Allemands, au détriment de nos rapports avec la Russie, avec la Pologne, avec la Tchécoslovaquie, avec la Yougoslavie. Ces peuples faméliques ne demanderaient qu'à se tourner vers la France, si celle-ci voulait bien abandonner sa politique d'alliance étroite avec une Allemagne qu'ils craignent tous, parce qu'ils se souviennent de ce qu'elle leur a fait. Les Russes seraient les premiers à se réjouir d'un pareil changement. Vous savez, les Russes sont de pauvres types maintenant. Ils demandent de l'argent à tout le monde. Ils ont besoin du blé des autres pour arriver à manger. Et ils se sentent menacés par les Chinois. Si les Allemands nous glissent entre les doigts, eh bien, nous avons les moyens de nous retourner ! Le monde est vaste et la France a un grand jeu à jouer. »
« Il faut toujours avoir une poire d'angoisse »
Conseil du 18 décembre 1963.
Huit jours plus tard, on n'est pas plus éclairé sur l'issue du bras de fer.
Couve: « On saura vendredi ou samedi si nous échouerons.
GdG (très serein). — C'est le moment d'aller de l'avant, ou de constater qu'on n'aboutira pas.
« Il faut le faire sans acrimonie pour personne. Il ne s'agit pas d'en vouloir à l'un ou à l'autre. Peut-être le Marché commun n'était-il pas une chose possible et faudra-t-il s'y résigner.
« En tout cas, ce qui est sûr, c'est que nous ne pouvons admettre un Marché commun dans lequel l'agriculture n'entrerait pas.
« Si on n'aboutit pas à un accord le 31 décembre, il n'y a aucune espèce de raison pour qu'un accord ait lieu jamais. Alors, il faudra en prendre son parti. Enfin, on verra bien. »
Salon doré, après le Conseil.
AP: « J'annonce l'éventualité d'un Conseil des ministres la semaine prochaine, au cas où... ?
GdG. — Oui. Vous n'avez qu'à dire: "En principe, il n'y aura pas de Conseil des ministres la semaine prochaine en raison des fêtes de Noël. À moins que tel événement impose d'en faire un, en particulier l'impossibilité d'aboutir à Bruxelles."
« Il faut toujours avoir une poire d'angoisse (c'est le mot que leGénéral avait employé devant moi, à l'automne de 1961, à propos d'un partage de l'Algérie 2 .
« Si le Marché commun n'est pas possible, nous vivrons sans lui »
AP. — Le traité de Rome ne prévoit aucune modalité pour y mettre fin.
GdG. — En réalité, ça n'est pas très commode de saborder le Marché commun et nous n'y aurions peut-être pas avantage. Il serait plus indiqué de s'arrêter en route en le gelant au point où a été conclu l'accord pour le Marché commun agricole du 14 janvier 1962. Nous avions alors accepté de passer à la deuxième étape du Marché commun. Si nous n'aboutissons pas le 31 décembre, nous constaterons que cet accord n'a pas été appliqué et que nous nous retrouvons dans la situation où nous étions le 31 décembre 1961, c'est-à-dire dans la première étape. Nous nous contenterons d'appliquer passivement les règlements en vigueur en 1961 et nous refuserons d'aller plus loin.
« Cela présentera pour nous toutes sortes d'avantages. Nous n'aurons aucune raison de nous priver du droit de veto sur tout ce que voudrait faire la Communauté. Par exemple, pas de Kennedy Round, pas de négociation avec l'Angleterre, etc. Nous serions présents dans le système et en mesure de le bloquer à tout instant. Au lieu d'envoyer des ministres à Bruxelles, nous enverrions un fonctionnaire. La Commission subsisterait, certes. Elle n'aurait plus rien à faire, puisqu'on n'irait pas de l'avant. L'Europe des Six serait condamnée à la routine. L'initiative devrait se porter ailleurs, et la France prendrait alors d'autres initiatives, comptez-y. »
Il y a un mois, son propos était expéditif et va-t-en-guerre. Aujourd'hui, le Général est tout aussi résolu, mais plus nuancé. Il a approfondi le scénario de sa politique de rechange. Il se prépare déjà au jeu de la France sur une scène bouleversée.
« Parlez-en avec désinvolture »
AP: « Vous ne croyez pas qu'Erhard va reculer devant ces perspectives ?
GdG. — Je ne sais pas.
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