C'était de Gaulle - Tome II
Général, qui était allé rendre visite à l'ancien Chancelier dans son bureau de président du parti chrétien-démocrate, avait été averti à plusieurs reprises du moment de partir; les motards d'escorte faisaient démarrer leurs machines; les rappels à l'ordre se succédaient; les vrombissements s'accéléraient; Adenauer se joignait au chœur en suppliant le Général de s'en aller. Le Général faisait la sourde oreille et restait imperturbable. Adenauer a fini par comprendre que le Général s'attardait de propos délibéré. Alors, il n'a pu refréner son hilarité jusqu'à la fin de l'entretien.
En tout cas, de Gaulle a réussi son coup: le sourire aux lèvres, il a fait sa « grosse bouderie » à Erhard. Le Tout-Bonn est au courant. Au dîner du soir, où nous retrouvons le gouvernement allemand au grand complet, et les responsables politiques de la majorité comme de l'opposition socialiste, Willy Brandt 1 en tête, il n'est question, mezza voce, que de cet éclat silencieux.
« Les deux pays n'ont pas encore une politique commune »
Une première séance plénière, le 3 juillet après-midi, réunit les ministres participants des deux pays 2 et procède à des bilans alternés. D'un côté d'une table, de part et d'autre du Général, les ministres français. En face, autour d'Erhard, leurs collègues allemands. Au second rang, des hauts fonctionnaires, des ambassadeurs, des généraux. Ils n'ont d'yeux que pour le Général, notamment les militaires en uniforme feldgrau. Quand ses voisins de tour de table prennent successivement la parole, ils ne leur font pas la grâce d'un coup d'oeil. Seul le Général les fascine. Que pensent-ils, ces militaires qui ont livré tant de batailles, il n'y a qu'une vingtaine d'années, de ce militaire inconnu qui a réalisé ce que même un fou n'aurait pas imaginé?
Une seconde réunion plénière, le matin du 4 juillet, commence sous la présidence de Schrôder et de Pompidou, le Général et leChancelier ayant décidé de s'entretenir de nouveau en tête à tête. Quand ils nous rejoignent, vers midi, Erhard se contente d'une synthèse sobre et lisse: « Les conversations d'hier et d'aujourd'hui et la franchise qui les a marquées prouvent l'intimité des liens que notre coopération a établis. »
Le Général reste dans la courtoisie, mais ne lui sacrifie pas la sincérité:
« Jamais la France et l'Allemagne ne se sont présenté l'une à l'autre avec autant de franchise leurs convictions sur ce que devrait être leur politique et, à partir de cette politique, sur ce que devrait être celle de l'Europe. Jusqu'ici, quelles que soient les intentions, quels que soient l'esprit du traité et le mouvement qu'il a créé, les deux pays n'ont pas encore une politique commune; et par conséquent l'Europe n'en a pas non plus. Elle n'en aura une que lorsque nous-mêmes en voudrons et en aurons une. Or, bien que nos buts soient communs, la France et l'Allemagne n'ont pas réussi à unifier leur manière de faire pour les atteindre.
« Nous ne sommes pas impatients »
« Du côté français, on comprend très bien la situation particulière de l'Allemagne, et on respecte les raisons pour lesquelles elle n'a pas pris les mêmes positions que la France.
« Mais un jour viendra certainement où la France et l'Allemagne seront unies pour mener ensemble leur action en Europe et dans le monde entier. Tout y contribuera, et d'abord le fait que, de mois en mois, d'année en année, nous prenons une plus grande importance et une plus grande consistance au point de vue économique et aussi politique, et que par conséquent nous sommes de plus en plus disposés à être nous-mêmes.
« Nous avons reconnu que, pour la première fois dans l'histoire, après que nous ayons renoncé à notre antagonisme et même à notre rivalité, nous sommes d'accord sur ce qu'il faut faire, en Europe — j'évoque la réunification allemande ; et aussi en Asie, en Afrique, en Amérique latine, dans le tiers-monde; enfin à l'Est, vis-à-vis de ces États placés sous le joug communiste, qui ne sont pas pour autant acquis au communisme, et encore moins à la Russie communiste.
« Des événements se produisent tous les jours qui nous forceront à agir ensemble: en particulier, l'apparition de la Chine comme une grande puissance. Inévitablement, nos amis américains verront dans la Chine une menace à leur égard, tandis qu'ils verront de moins en moins dans cette pauvre Russie un danger
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