C'était de Gaulle - Tome II
c'est qu'il veille sur lui comme à du lait sur le feu.
Matignon, 19 décembre 1964. Pompidou me dit : « J'espère que le Général va se représenter. Il en a visiblement la force. Il en meurtd'envie. Mais comme, avec lui, on n'est jamais sûr de rien, il faut quand même se préparer à l'autre hypothèse.
« Ce qu'il faudra, c'est que celui d'entre nous qui sera le mieux placé pour prendre la succession, soit assuré de faire l'unité des gaullistes, qui sont, à eux seuls, minoritaires, mais autour desquels devrait pouvoir se faire l'unité des Français.
« Ensuite, il faudra que ce candidat soit capable de maintenir le régime. L'idée la plus répandue dans la classe politique, c'est que de Gaulle est une parenthèse, au sens grammatical : la parenthèse fermée, la phrase continue exactement comme avant son ouverture. Qu'après de Gaulle, on retournera à la IV e , c'est-à-dire à la III e . Le Président n'aura plus qu'à inaugurer les chrysanthèmes.
«Cette machine infernale, ce sera la mission principale du prochain Président que de la bloquer. Il lui incombera d'appliquer sans faiblesse les règles institutionnelles voulues et imposées par le Général, et de faire plier la classe politique jusqu'à ce qu'elle se rallie, gauche comprise, à cette pratique. Je n'en connais pas beaucoup qui soient capables de dompter ainsi la classe politique et de donner enfin à la République sa stabilité ! »
Il est évident qu'il n'y en a pas beaucoup, et qu'il n'y en a même qu'un, qui réponde actuellement à ce portrait : c'est lui.
Pompidou : « Les institutions ne s'implanteront que par une pratique apaisée »
Il poursuit à son rythme tranquille, sa cigarette au coin de la lèvre : « Il faudra désormais faire prévaloir trois principes : l'unité de l'exécutif, la double légitimité électorale, le renforcement de la représentation nationale.
« L'unité de l'exécutif, ça veut dire la prééminence du Président; le Premier ministre colle au Président. Je pratique ce principe comme Premier ministre. Il faudra que le successeur du Général le pratique comme Président. Vous constatez que je ne fais jamais état en public, ni dans des confidences à des journalistes, ni même devant deux personnes, de mes désaccords avec le Général. Au maximum devant une personne, et encore très rarement, de sorte que je saurais d'où vient la fuite, si fuite, il y avait. (Il me semble que son œil noir est en cet instant encore plus noir que d'ordinaire.)
« Il faut que le Premier ministre soit dans la ligne qu'arrête le Président. J'ai fixé cette doctrine en avril dernier dans mon débat avec Mitterrand 2 , qui considère comme anti-républicaine laprééminence du Président; s'il gagnait un jour l'élection présidentielle, on verrait bien s'il ferait prévaloir ce point de vue, ou le point de vue adverse. Vous constatez que j'ai favorisé la pratique des Conseils restreints à l'Élysée. Je n'ai plus fait de Conseil de cabinet autour de moi comme Debré en faisait à Matignon. Le pouvoir exécutif est uni au sommet, dans la main du Président. Cette mécanique, qu'a voulue le Général et que j'ai favorisée, est faite pour broyer les velléités de particularisme des ministres par rapport au reste du gouvernement, ou du gouvernement par rapport au Président.
« Le deuxième principe, c'est que l'autorité du Président de la République soit renforcée par la légitimité électorale. Déjà, pour le Général, son pouvoir charismatique n'est pas suffisant pour le mettre à l'abri de la contestation; à plus forte raison, ses successeurs, qui ne détiendront pas de l'Histoire le même prestige. C'est pour ça que j'ai poussé le Général à se mouiller pour les législatives en novembre 62. Le Général aurait voulu s'enfermer dans son image historique. C'était une erreur grave par rapport à lui, et bien plus grave encore par rapport à ses successeurs. Il faut faire vivre ce régime présidentiel dans le cadre d'une démocratie représentative plus conforme aux traditions de la III e et de la IV e République. C'est pour ça que je n'ai jamais utilisé l'article 49-3 3 . C'est pour ça que j'ai horreur du vote bloqué 4 . C'est pour ça que je normalise les rapports avec le Sénat. Il faudrait que le Président adresse souvent des messages au Parlement.
«Le troisième principe, c'est qu'il faut dépersonnaliser le régime. Il ne faut pas que le Président se mette tout le temps en
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